Article paru dans Connaissance des religions numéro 57-58-59.
On sait que, dans les traditions gnostiques de l’Inde (sâmkhya, vedânta,
jñâna-yoga), le cœur(hrid ou hridaya) n’est pas associé au sentiment mais à la
connaissance; il n’est point le siège des sensations, émotions ou passions
mais celui de l’intellect, au sens guénonien du terme, de cette pure intuition
intellectuelle (buddhi ou mati) qui voit directement les choses dans leur
lumière véritable sans passer par l’intermédiaire du mental (manas). Bien
plus, depuis les plus anciennes upanishads [1], le cœur est considéré comme le
centre de l’« âme vivante » individuelle (jîvâtman), identique en son essence
au Principe suprême de l’univers (Paramâtman ou Brahman). Notre individualité
humaine est à la fois somatique et psychique ou, en termes hindous, grossière
et subtile. C’est de tout ce composé - et pas seulement du corps matériel -
que le cœur(la « caverne » ou le « sanctuaire ») du cœur est le centre.
En tant que viscère musculaire, qu’organe central de l’appareil circulatoire,
il semble certes commander et rythmer la vie et, lorsqu’il s’arrête, la vie
apparemment s’arrête. Mais il ne s’agit que de la vie d’un corps, de ce corps
« fait de nourriture » (annamaya). La vie subtile, elle, peut continuer, se
prolonger sous d’autres formes individualisées, existant à nouveau autour d’un
centre, donc, symboliquement, d’un « cœur ». Mais cela n’est pas encore le
plus important. Car, au-delà de la Vie - même écrite avec une majuscule -,
au-delà des « vies » - même si l’on ne conçoit pas ces dernières comme une
suite mécanique et simpliste de « réincarnations » -, ce cœur métaphysique
dont nous parlons demeure en tant que Conscience.
Or cette Conscience ne naît ni ne meurt, ne croît ni ne décroît, elle n’est
pas plus soumise au temps qu’à l’espace, elle n’a pas de forme, elle n’a pas
de cause, pas d’opposé ou de complément, elle EST. Source de vie, le
cœur(n’hésitons pas ici à employer la majuscule) transcende donc la vie. Il
est le « Soi » (âtman) le plus intime de l’être, il est l’Etre (sat), il est
la Conscience (chit) dont l’unique objet, non distinct d’elle-même, est la
Béatitude (ânanda). Il connaît toutes choses mais Lui, nul ne Le connaît
(comme on connaîtrait un « autre »). Pour Le connaître, il faut être Lui (« Il
Se connaît Lui-même par Lui-même »). Cet enseignement, si simple et
insondable, est à son tour au « cœur » de toute la Tradition hindoue ; il en
constitue l’essentiel, le noyau indestructible. Il n’est même pas exagéré
d’affirmer que quiconque l’aurait compris - intellectuellement compris d’abord
puis surtout effectivement « réalisé » - pourrait se dispenser d’étudier tout
le reste, toutes les autres spéculations, pratiques ou techniques qui ne sont,
selon les expressions védantiques, que des « amusements d’enfants » et des
« châteaux dans les nuées ».
De quelque façon que l’on considère le tantrisme - comme une réadaptation
orthodoxe (et ultime) du Veda à des temps « obscurcis » (kali-yuga) ou comme
une révélation divine entièrement nouvelle et autosuffisante qui rend ce même
Veda périmé et inutile - une chose est certaine: la doctrine de l’« identité
suprême » entre le Soi individuel et le Soi universel, que nous avons vue être
au centre de l’enseignement upanishadique, se trouve dans les Agamas et les
Tantras maintenue et préservée, tout comme l’importance attribuée au cœur en
tant que symbole de l’âtman et « lieu » de l’identification sans retour ou, en
un mot, de l’« Eveil » (unmesha, bodha). Ici le lecteur qui connaîtrait
principalement le tantrisme par son système des chakra développé dans le
hatha-yoga et le kundalîni-yoga - et malheureusement repris et dénaturé
aujourd’hui par toutes sortes d’ouvrages médiocres - songerait peut-être au
chakra du cœur ou anâhata à douze pétales.
Mais il serait victime d’une confusion car ce lotus, où il est dit que doit
être tranché le « nœud de Vishnou » (le noeud de la pensée égotique), n’est
pas le séjour du Soi [2]. Et d’autre part le « cœurd’Eveil » que nous
évoquions n’est pas un chakra parmi d’autres, situé dans la hiérarchie
classique des chakra entre manipûra ou nâbhi (le nombril ) et vishuddha ou
kantha (la gorge). Il est cela sans doute mais il peut être beaucoup plus, au
point de rendre presque superflue la considération des autres « roues ». Mais,
pour le comprendre pleinement, il faut se tourner vers la branche la plus
métaphysique du tantrisme hindouiste, à savoir le shivaïsme non dualiste du
Cachemire ou Trika [3], - nom générique en fait pour plusieurs écoles
florissantes entre les IXe et XIIe siècles.
On rencontre assez fréquemment dans cette tradition les expressions de « cœur
universel », « cœur divin » ou « cœur du Seigneur ». Elles sont en intime
relation avec la notion de « vibration » (spanda). L’univers tout entier, en
effet, résulte d’un ébranlement originel (en réalité hors du temps), d’un
choc, d’une vibration ou pulsation. L’univers « bat » et vibre. Mieux, il est
cette pulsation, cette vibration éternelle. Il est le cœur du Shiva suprême (Paramashiva),
encore appelé Bhairava (le Terrible), tattva ou mahâsattvâ (Réalité ultime),
svarûpa (essence), shûnyatâ (vacuité), âtman (Soi) : Conscience absolue (chiti,
chaitanya, samvid) dont la caractéristique essentielle est la liberté (svâtantrya).
Car c’est parce qu’elle est souverainement libre que cette Conscience peut se
nier elle-même, se cacher à elle-même, obscurcir son essence lumineuse à
l’aide de sa mâya-shakti (énergie d’illusion), se diviser en sujet et objet,
« moi » (aham) et « ceci » (idam), apparaître sous la forme d’un monde
multiple et changeant, dans lequel elle « jouera » à se perdre (le jeu étant
l’expression même de la liberté) et duquel elle aspirera plus tard, Elle que
rien ne saurait enchaîner, à se « libérer ». Dans sa réalité foncière,
cependant, Paramashiva est immuable, à l’égal du Parabrahman des upanishads.
Il est Lumière indifférenciée, indivise, inaltérable, à la fois
conscience-lumière (prakâsha), resplendissant de son propre éclat, et
conscience-énergie (vimarsha) ou énergie (shakti) qui prend librement
conscience d’elle-même dans un frémissement premier, un acte pur et vibrant (spanda),
identique au souffle de vie (prâna). Mais il importe plus que tout de
comprendre que ces deux consciences, symbolisées dans le tantrisme par un
couple divin (yâmala), n’en font qu’une (il n’y a pas plus trace de dualisme
que de panthéisme, de créationnisme ou d’évolutionnisme dans cette doctrine).
Shiva-Shakti constituent la réalité indissoluble de Paramashiva ou Cœur
universel.
Pour rejoindre celui-ci - ce qui est une façon de parler car en vérité il n’y
a rien à acquérir, nous sommes déjà ce cœur-, on parle, selon les écoles, de
reconnaissance » (pratyabhijñâ) ou d’« élan » (udyama), deux manières assez
voisines de souligner le caractère purement intuitif, immédiat et dynamique de
ce qui est demandé. Selon la première conception, il suffit, pour recouvrer sa
véritable nature, sa « shivaïté », de « reconnaître » celle-ci dans son cœur
par une prise de conscience fulgurante qui ne laisse aucune place à
l’alternative et au doute, illumination non progressive, non programmée,
possible à chaque instant dans la perception d’un objet quelconque (on « y
est » ou on « n’y est pas », on ne peut pas y être « à moitié »).
Selon la seconde formulation, ce qui permet l’identification avec l’Absolu,
c’est un « élan », une adhésion subite et inconditionnelle de la conscience au
phénomène, tel qu’il apparaît dans l’instant, sur le vif, sans surimposition.
Et là encore cet acte pur, qui est « émerveillement » (chamatkara), ne peut
jamais se produire dans le mental, qui n’utilise que du connu [4], mais
uniquement dans le cœur, seul apte à saisir le frémissement initial de
l’énergie.
Mais, pour que cette vérité puisse nous « percuter », il faut quitter les
abstractions et épouser la voie (qui, dans sa forme supérieure, devient une « non-voie »,
anupâya), plonger dans la vie brûlante, faite de surprises et d’obstacles. La
tantrisme, en effet, rappelons-le, a peu d’estime pour la spéculation pure et
le renoncement ascétique. Il ne dévoile ses secrets que dans une pratique, au
sein d’un monde qu’il tient pour « réel » - à la différence du vedânta
shankarien - puisque pour lui Shiva est la Totalité, à la fois transcendante
et immanente, et que rien, pas même le changement, pas même l’illusion ou
l’ignorance n’est extérieur à Shiva [5]. Aussi, dans la voie tantrique,
fait-on feu de tout bois. Comme l’écrit Abhinavagupta, le maître le plus
éminent du Cachemire, égal en profondeur à Shankara et Nâgârjuna: « Au moment
de pénétrer dans la Réalité suprême, on considère comme un moyen tout ce qui
se trouve à portée, fût-ce licite ou illicite; parce que, d’après le Trika, on
ne doit alors se soumettre à aucune restriction [6]. »
Cet élan du cœur, qui court-circuite toute raison, les docteurs du Trika le
comparent encore à la précipitation haletante du père ou de la mère qui bondit
pour sauver la vie de son enfant; ou bien à l’état intérieur de l’homme qui
cherche à se souvenir d’un mot oublié: après des efforts répétés et vains,
soudain le mot jaillit dans la conscience, « comme un produit direct du
cœur ». Intensifiée, canalisée, maîtrisée, cette énergie brute reçoit alors
le nom de bhâvanâ. Il s’agit là d’une faculté tantrique essentielle, qu’il est
impossible de rendre d’un seul mot.
Elle est à la fois imagination créatrice (imaginatio vera, disaient nos
alchimistes, et non imaginato phantastica), puissance intuitive, capacité
d’évocation sensorielle (concernant les cinq sens et pas seulement la
visualisation, comme on le croit souvent), très grande plasticité psychique et
sensibilité spirituelle suraiguë, - et son énergie, en tout cas, est telle
qu’on la dit apte à « fixer » la pensée (presque encore au sens hermétique),
le paradoxe étant que, pour donner sa pleine mesure, elle ne doit
s’accompagner d’aucun effort corporel ou mental. Détente parfaite, apaisement,
« état naturel » constituent le terrain ou l’arrière-plan sur lequel bhâvanâ
peut pleinement se déployer. Et là aussi toute sensation subtile, toute
évocation part du cœuret vient s’y résorber.
La moindre interférence mentale ou égotique (ce qui est la même chose, le
mental n’existant que pour la survie de l’ego) détruirait l’« émerveillement »
et nous replongerait dans le monde de la dualité. C’est pourquoi, dans cette
voie, vigilance et lucidité sont indispensables, au moins autant que
l’« imagination vraie ». En outre il faut préciser que la spontanéité n’est
pas le « spontanéisme », tel que l’entendent certains courants modernes. Il ne
s’agit pas ici d’une « mystique sauvage », quête aveugle et infra-rationnelle
de sensations occultes, recherche de transe ou d’extase à tout prix. Etre
ouvert à la Totalité ne veut pas dire accepter n’importe quoi. Comme toute
voie indienne, le Trika suppose donc une initiation, un climat spirituel, un
encadrement, une perspective.
Ce qui en lui peut séduire - l’extraordinaire liberté et variété des moyens
proposés - ne doit nullement faire oublier son exigence et son caractère
irréductible à toute vulgarisation. Pour y entrer, pour ne pas s’y perdre, on
doit avoir une « vocation », une prédisposition « héroïque » ou « divine ».
Elitisme il y a bien, même s’il ne s’établit pas sur des critères de race, de
caste, de sexe, de morale conventionnelle ou de savoir livresque. Là encore le
choix se fera par le cœuret la transmission s’opérera « de cœurà cœur »
[7].
Comment épanouir le cœur, comment d’abord y pénétrer? Si le cœurest vraiment
la porte et la clé, l’ouverture et la voie, « l’accès au sans-accès » selon
l’expression shivaïte, existe-t-il des moyens - autres que la simple foi,
l’élan, la ferveur - pour transmuer cette certitude théorique en expérience
vivante? Abhinavagupta répond: « Il faut que le sage pénètre dans son cœurau
moment où son énergie est fortement stimulée; quand il s’absorbe dans la pure
énergie subjective; quand il accède à l’extrémité de toutes les nâdî; lorsque
l’énergie se rétracte dans le Soi universel ou encore s’épanouit (en
s’intégrant) à tout l’univers. » Ces propos fort elliptiques appellent
quelques commentaires et surtout quelques exemples que nous emprunterons en
grande partie à l’un des Tantras les plus vénérés du Cachemire: le
Vijñâna-Bhairava [8].
Le premier de ces cinq moyens fait allusion à l’« effervescence de l’énergie »
(shaktishobha), au choc vibratoire que peut susciter, chez un être de
sensibilité affinée et doué également de vîrya (puissance virile concentrée,
vitalité profonde et mûre) une impression sensorielle quelconque: son, cri,
chant, image, couleur, forme belle, toucher, saveur, odeur, et aussi souvenir,
évocation voluptueuse. Tout plaisir sensuel en effet renvoie à l’énergie
divine de félicité (ânandashakti) ou « pointe » vers elle (ou en est un reflet
si l’on voit les choses en sens inverse) car tout désir profondément est désir
du Soi dans sa plénitude.
La jouissance, qu’elle soit esthétique ou amoureuse, est donc par nature
unifiante, elle abolit ou suspend la dualité entre sujet et objet. Mais alors
que le profane ne vit généralement ces moments que dans une saisie avide ou
bien comme une compensation à un mal-être - une lueur brève dans une existence
terne -, le yogî s’y établit avec une sorte de fraîcheur lucide jusqu’à y
retrouver la « saveur » (rasa) de sa vraie nature. Il assiste en lui-même au
déploiement et à la résorption de l’énergie, il « retourne », pour ainsi dire,
l’énergie en conscience, il épouse si bien le mouvement passionnel ou
émotionnel qu’il s’en rend maître et s’en détache.
Telle est la signification profonde des rites secrets de la « Main gauche »
(sur lesquels on a dit tant de bêtises), et le fait que, même en Inde, ils
aient pu être déformés ou détournés - et cela bien avant notre époque - n’y
change rien. Ces moyens prohibés par l’orthodoxie brahmanique - l’alcool, la
consommation de viande, l’union sexuelle avec une « messagère » (dûtî) ou une
yoginî -ne sauraient « libérer » que des êtres déjà libres d’égoïsme,
d’avidité, d’attachement. Pour les autres ils ne seront que ténèbres sur
ténèbres, poisons sur poisons. En ce qui concerne l’énergie sexuelle en
particulier, il est clair qu’elle n’est spirituellement opérative que si elle
coïncide avec la force ascensionnelle de la Kundalinî. C’est à l’intérieur du
« canal médian » (madhyanâdî) que les amants doivent éprouver l’afflux de
félicité (ânandasamplava) et cela, précisent certaines écoles, de façon
« simultanée » (sâmarasya, « saveur commune »). Et c’est dans le rayonnement
du cœur que doit se produire la transmutation de la semence chez l’homme et du
« sang » chez la femme, fusion du « blanc » et du « rouge » qui constitue,
avec la maîtrise du souffle et la mise à mort du mental, un des « trois
joyaux » tantriques (triratna).
Cette pratique n’a de toute façon aucun caractère contraignant ni
obsessionnel, elle n’a été recommandée - et parfois pour un temps limité -
qu’à certains hommes ou femmes doués d’un tempérament approprié. Pour susciter
l’émerveillement, pour plonger dans le cœur vibrant (sahridaya), les maîtres
du Cachemire nous suggèrent ce moyen mais aussi, comme sur le même plan,
beaucoup d’autres. Ecoutons Somânanda, fondateur de l’école Pratyabhijñâ: « On
perçoit le premier ébranlement de la volonté dans la région du cœur au moment
où l’on se souvient de quelque chose qu’on doit accomplir (mais qu’on avait
oublié); à l’instant précis où l’on apprend une nouvelle qui cause un grand
bonheur; lorsqu’on éprouve une peur inattendue; quand on perçoit de façon
imprévue une chose que l’on n’avait jamais vue; à l’occasion de l’épanchement
du sperme ou lorsqu’on en parle; et aussi quand on récite (un texte) d’une
façon très précipitée ou lors d’une course (échevelée).
Dans ces multiples circonstances, toutes les énergies de la conscience sont
frémissantes (vilolatâ) et elles sont brassées les unes avec les autres en un
seul acte vibrant [9]. » Ainsi toutes les émotions fortuites de la vie (joie,
surprise, appréhension, frayeur, affolement, déception, vexation, frustration,
curiosité, colère, faim, soif, vertige et même éternuement...) peuvent-elles
être positivement exploitées et réorientées, du moins quand elles atteignent
un certain paroxysme, une certaine intensité vibratoire et surtout quand elles
sont « dénudées » - pour reprendre le vocabulaire évolien -, c’est-à-dire
dépouillées de toute surimposition morale (justification, condamnation, bien,
mal), non nommées, non conceptualisées, vécues comme de pures énergies divines
(ou parfois démoniaques, si on les refuse ou si on ne peut les intégrer).
A l’instant précis de son surgissement, toute émotion ou passion, toute
tendance psychique est « pure », unique, indifférenciée; la conscience la
pénètre totalement, la dualité n’existe pas. L’erreur et le danger ne naissent
que quand le « Je », d‘abord un avec l’expérience, s’en distingue (ce qui va
très vite), se pense et se pose comme sujet, agent, expérimentateur: je suis
furieux, je suis triste, je suis joyeux, etc. Plus le mouvement émotionnel est
fort, plus l’ego d’ailleurs est lent à se reconstituer. Il est « débordé » et
privé de ses repères. Cet instant de désarroi peut être une chance
spirituelle. Le silence, le vide, la dépossession remplacent le tumulte et,
n’ayant plus rien à saisir ni à quoi se raccrocher, l’être à bout de
ressources peut enfin se trouver face à face avec sa véritable nature, « roi
nu ». C’est là, plus que jamais, qu’il doit s’enfoncer dans la vacuité de son
cœuret réaliser ce vide non comme un néant, non comme une halte provisoire ou
un refuge consolateur mais comme son essence originelle et intemporelle, - ce
qu’Abhinavagupta appelait plus haut « s’absorber (ou se résorber) dans la pure
énergie subjective (entendons du Sujet transpsychologique) ». C’est alors la
« Reconnaissance », comme de retrouver (mais d’une manière inattendue) un être
cher après une longue séparation.
La plupart des moyens d’Eveil que nous venons de parcourir sont en quelque
sorte fournis par la vie et l’on ne peut guère les provoquer, on peut
seulement les accueillir et les transformer lorsqu’ils surgissent. S’ils ont
la faveur des shivaïtes, c’est précisément en raison de ce caractère non
fabriqué, non mental, non prévisible. En revanche il est d’autres procédés qui
relèvent davantage d’une méthode, d’un yoga: yoga différent du râja-yoga de
Patañjali sans doute, lequel repose sur un certain fond « dualiste » (le
sâmkhya) et sur l’idée d’« union » (étrangère au monisme pur où il n’y a rien
à unir); différente aussi du hatha-yoga de l’école Nâth, qui est à la fois
volontariste, gradualiste et « violente », trois qualificatifs qu’on ne peut
guère appliquer au Trika [10]; mais yoga tout de même, qui ne croit guère aux
« exercices », aux disciplines, aux refrènements, mais suit son propre chemin,
libre et insaisissable pour atteindre l’Eveil.
La connaissance approfondie des chakra, des nâdi, autrement dit du corps
énergétique, fait partie de cette tradition, même si la description qu’elle en
donne diffère parfois de celle des écoles mieux connues en Occident. Ainsi le
terme chakra (on en distingue essentiellement cinq) y garde-t-il son sens
plein de « roues » tournoyantes et vibrantes [11]; les nâdi - dans la même
perspective dynamique - n’y sont pas des conduits statiques et pour chacun
identiques par lesquels les souffles circuleraient mais des « courants », des
« flux » que l’on doit apprendre à capter, à vivifier, à dilater ou à apaiser,
notamment à partir du cœur.
Le déplacement de ces énergies très subtiles est volontiers décrit comme un
fourmillement et le Vijñâna-Bhairava (66) fait même allusion à des techniques
d’effleurement ou de « chatouillement » des aisselles ou d’autres endroits
particulièrement sensibles pour susciter l’épanouissement de la conscience
[12].
Quant au cœur, lorsqu’il n’est pas visualisé comme une roue rayonnante à
douze rayons, il est décrit comme une cassette ronde et creuse, faite de deux
lotus entrelacés: le lotus supérieur, d’après un commentaire, figure la
connaissance et le lotus inférieur, l’objet connu; entre eux, dans le vide
intermédiaire (madhya), réside le sujet connaissant (V.B. 49). On exalte
encore (avec des termes tels que kha, hridâkâsha, vyoman, antarvyoman,
paravyoman) l’« espace du cœur », l’« éther du cœur », la « voûte » ou le
« firmament du cœur ».
Ces expressions valent plus par leur puissance évocatoire que par leur rigueur
doctrinale. Ils renvoient à la double notion connexe de « milieu » et de
« vacuité » (le moyeu vide de la roue qui fait tourner la roue: c’est
d’ailleurs un des sens du mot kha) et l’on pourrait certes se demander, en
bonne orthodoxie védantique, ce que signifie vraiment un « espace vide » (un
« contenant sans contenu », comme s’interrogeait Guénon). Il faut spécifier
d’autre part que la « vacuité » dans la doctrine Trika est différente de celle
que l’on rencontre dans les textes Mâdhyamika (bien que des influences
réciproques ne soient pas exclues et que, sur un plan opératif, le tantrisme
hindouiste et le tantrisme bouddhiste offrent de grandes similitudes).
Il ne s’agit pas ici d’évacuer l’être, le Soi (qui pour les Hindous reste
indestructible, irremplaçable car il se confond avec la Conscience même), mais
de vider cet être, si l’on peut dire, de tout ce qui serait « objectif »
(mental ou matériel, nom-et-forme), de le « désobjectiver »
[13]. Cela relève
d’un art. Evoquer (au moyen de bhâvanâ) la vacuité dans n’importe quelle
partie du corps, de manière instantanée et éblouissante; ou bien étendre cette
vacuité à l’« objet corps » tout entier; méditer sur celui-ci comme s’il ne
contenait rien à l’intérieur, la peau n’étant qu’un « mur », une pellicule
diaphane entre deux vides, etc.: tout cela, dans une certaine mesure,
s’apprend mais se heurtera souvent à des résistances insoupçonnées. L’individu
n’accepte pas facilement de quitter la prison qu’il s’est lui-même construite.
C’est une chose que de jouer philosophiquement avec l’idée de vacuité et c’en
est une autre que de la réaliser directement dans son corps et dans son
mental, jusqu’à n’être plus qu’une forme vide, une énergie sans contours, sans
limites, rayonnante et vibrante [14].
Relèvent d’un art également les pratiques de souffle lorsqu’elles sont
intériorisées et non pas réduites à une simple jonglerie respiratoire en vue
d’obtenir des « pouvoirs ». Le souffle expiré (prâna dans cette tradition)
part du cœuret va mourir dans un « point » situé à douze largeurs de doigt du
bout du nez (le « dvâdashânta externe »); depuis ce point, avec l’inspiration
(apâna), le souffle revient se reposer dans le cœur: c’est là le stade
élémentaire de la méthode qui, cependant, poursuivi avec sérieux, apporte déjà
l’équilibre et la quiétude. Dans un stade ultérieur et supérieur, le souffle
sera verticalisé, conduit depuis le cœur, en bas, jusqu’à la couronne de la
tête, en haut (le « dvâdashânta interne »), l’expiration étant toujours conçue
comme la force ascendante et l’inspiration comme la force descendante.
Dans ce transfert (d’ailleurs spontané) de l’horizontalité à la verticalité,
de l’« amplitude » à l’« exaltation », on serait tenté de voir ce que d’autres
traditions ont appelé le passage des « petits mystères » aux « Grands
Mystères » - et l’on ne peut ici que rendre hommage aux lumineuses intuitions
de René Guénon. Si la conquête du cœur exprime le retour à l’« état
primordial » ou édénique, si elle équivaut à la réintégration du centre de
l’être humain où se reflète le Centre suprême, alors on est obligé d’admettre
que cet état, pour élevé et merveilleux qu’il soit, ne représente qu’une étape
avant les « cieux » supraformels que symbolisent les chakra supérieurs et
enfin la véritable transcendance ou « Délivrance » (moksha) que marque la
traversée de la fontanelle. Dans le kundalinî-yoga « classique » - si cette
expression a un sens - c’est bien ainsi qu’on doit envisager les choses. Mais
dans le Trika il faudrait y regarder plus avant, car cette tradition n’établit
pas une hiérarchie aussi nette entre les centres et n’envisage pas la
progression de l’un à l’autre d’une manière aussi systématique. Pour elle
l’énergie est partout - comme la conscience - et elle peut être épanouie à
partir de n’importe quel chakra.
S’il est recommandé de l’éveiller à partir du cœur, c’est surtout parce que
ce centre, par sa nature « vide » et médiane, possède un pouvoir spontanément
unifiant qui se transmet sans effort à tous les autres [15]. Mais, même si
l’on situe Shakti dans le cœuret Shiva dans la fontanelle (ou l’inverse qui se
rencontre aussi), cela n’implique jamais un rapport de subordination puisque
Shakti est Shiva et Shiva est Shakti [16].
Nous avons parlé du mouvement des souffles. Il serait plus juste au fond de
parler des intervalles. C’est en effet dans ceux-ci que l’Eveil perce, jaillit
et resplendit, tandis que le mouvement, l’alternance nous maintiennent
toujours dans la dualité. Intervalles donc entre les souffles (ce qu’exprime
mal le mot de « rétention ») mais aussi entre les pensées, les perceptions,
les désirs et même les objets matériels (tout ce qui est faille, ouverture,
interstice). On tient pour très important, lorsqu’un mouvement psychique
s’arrête (de lui-même, par épuisement) de ne point se précipiter mécaniquement
dans un autre mouvement, une autre activité, une autre idéation mais de
demeurer dans ce repos, sans attente et sans projection.
La vacuité alors expérimentée recèle une incommensurable énergie, une
potentialité d’Eveil, à la condition toujours de ne pas s’identifier à elle
car, dans la perspective tantrique, répétons-le, le vide n’est pas ultime:
c’est encore un objet, donc un obstacle, tant qu’il s’oppose à un sujet qui le
perçoit comme « vide » et se perçoit lui-même comme « étant vide ». Autrement
dit, il faut être capable de réaliser le vide lui-même comme vide. Alors ce « vide-de-vide »
(expression que l’on trouve aussi dans la spéculation mahâyânique) peut
« basculer » et se résorber dans la Plénitude (entendue ici non comme le
« contraire » du vide mais comme Paramashiva, le sans-limite, la Totalité, la
négation de toute négation, donc l’absolue Positivité).
Intervalles enfin entre les états de conscience et d’abord les deux que
connaît l’individu en tant que tel: entre l’état de veille et l’état de rêve,
dans l’endormissement, ce passage insaisissable pour l’homme ordinaire entre
le monde des objets sensibles et le monde des objets mentaux. C’est alors
qu’il faudrait placer sa conscience dans son cœur(nous voulons dire la placer
activement car, de fait, ce transfert se produit de lui-même dans le sommeil),
afin d’obtenir la « maîtrise des rêves », c’est-à-dire la capacité de passer
de l’état passif et hallucinatoire du rêve habituel, chargé des résidus de
l’état de veille, à l’état, pleinement conscient et spirituellement dirigé, du
rêve lucide (V.B. 55).
L’autre passage, celui du sommeil au réveil, ne devrait pas moins retenir
l’attention. De la même façon que Shiva produit - ou en termes judéo-chrétiens
« crée » - l’univers en ouvrant les yeux et le résorbe en les fermant, chaque
individu crée chaque matin son propre monde en s’éveillant et le résorbe en
s’endormant. Le monde en effet n’existe pas indépendamment de la conscience.
L’objet apparaît avec le sujet, s’évanouit avec lui. Veillant, rêvant, dormant
sans rêve, nous passons d’un monde (c’est-à-dire d’un état de conscience) à
l’autre, aucun n’étant ni plus ni moins « réel » que l’autre. Du point de vue
ultime, l’univers n’a jamais commencé et ne finira jamais pour la simple
raison que le temps continu n’existe pas, pas plus que le passé (simple
phénomène de mémoire), le futur (simple projection de la mémoire) ni même le
présent (qui, sitôt pensé, est déjà passé). Il n’y a que des instants toujours
« actuels » dès que la conscience s’en saisit et il n’existe nulle part
d’entité, de substance appelée « Temps » qui relierait ces instants entre eux.
L’instant, en vérité, n’est que la « durée d’un acte de conscience
[17] ».
Seule cette conscience « mesure », supporte les choses et leur prête une
réalité. Le yogî, qui ne croit pas au Temps, sait en revanche se glisser dans
le vide interstitiel qui sépare les instants successifs, il les disjoint, les
disloque, pour rejoindre le Cœur, l’instant-choc, l’instant éternel.
Au terme de ce voyage au centre du Soi, dont nous n’avons esquissé que
quelques aspects, le pèlerin, devenu « roi des yogîs » (yogîndra), aura
acquis, sans vraiment le chercher, le double pouvoir de Shiva: celui de
rétracter le monde en un seul point (samâdhi aux yeux clos: nimîlaramâdhi) et
celui de le manifester, dans une libre et totale expansion des sens (samâdhi
aux yeux grands ouverts: unmîlanasamâdhi). Dès lors, que lui resterait-il à
accomplir? Libéré de tout, il est libre pour tout. Rien ne lui est extérieur.
Il perçoit tout en lui-même comme son propre Soi et son corps limité est
devenu le corps cosmique de Bhairava, la « Merveille cosmique » (vapus). Un
avec la Shakti, indiscernable d‘Elle, « Il Se connaît Lui-même par
Elle-même ». Vis-à-vis des « autres » - qu’il ne voit plus comme réellement
séparés de lui - il n’est que grâce, amour, ruissellement de dons et de
faveurs. S’il n’est pas encore devenu un « délivré vivant » (jîvan-mukta), la
mort, qui n’est jamais elle aussi qu’un intervalle, lui donnera l’occasion de
se fondre enfin dans le cœurde Shiva, le Très-Bénéfique.
Pierre Feuga
[1] « Quel est donc ce Soi (âtman) ? - C’est cet Etre infini (purusha) qui
s’identifie avec l’intellect et qui réside au milieu des organes - c’est cette
Lumière qui brille au-dedans du cœur » (Brihad-âranyaka-up., IV, III, 7).
« Dans ce séjour de Brahman est un petit lotus, une demeure dans laquelle est
une petite cavité occupée par l’Ether (âkâsha) ; on doit rechercher Ce qui est
dans ce lieu et on Le connaîtra » (Chândogya-up., VIII, I, 1). « Brahman est
réalité, connaissance, infinitude. Celui qui sait qu’il est caché dans le
creux (du cœur) et au suprême firmament, il réalise tous ses désirs avec le
sage Brahman » (Taittirîya-up. II, 1). Pour ce qui est des upanishads plus
récentes, on pourrait multiplier des citations analogues.
[2] Celui-ci est figuré par un lotus à huit pétales en dessous du péricarpe de
l’anâhata. Cf. le Satcakranirûpana dans la trad. de Tara Michaël: Corps subtil
et corps causal, (Le Courrier du Livre, 1979, p. 118-119). C’est sur ce lotus
rouge dont la corolle est tournée vers le haut que l’adoration mentale (mânasa-pûjâ)
de la divinité d’élection (ishta-devatâ) doit être pratiquée. C’est aussi là
que se trouve le « passage » par lequel l’âme du sage s’échappe au moment de
la mort.
[3] Trika signifie « triade », ce qui peut être interprété à différents
niveaux: soit la conscience (Shiva), l’énergie (Shakti) et l’individu limité
(qui d’ailleurs ne font qu’un) ; soit les trois voies de retour vers l’Absolu
qui leur correspondent (voie divine, voie de l’énergie, voie de l’individu) et
qu’étudie spécialement l’école Spanda (ou Trika au sens étroit du terme); soit
encore les trois énergies de Shiva (son « trident »): volonté, connaissance,
activité. Autres triades implicites: sujet connaissant, connaissance, objet
connu ; Agama, Spanda, Pratyabhijñâ (les trois sources textuelles ou shâstra
que reconnaissent les shivaïtes du Cachemire). Notons enfin que le mantra
suprême de ceux-ci, AHAM (le Je universel correspondant au HÛM tibétain), est
composé de trois éléments : A + HA + M. A et HA sont respectivement la
première et la dernière lettre de l’alphabet sanskrit, ils symbolisent Shiva
et Shakti. M symbolise l’individu. Toutes les lettres comprises entre A et HA
représentent les différentes puissances cosmiques présidant à la
manifestation, les mâtrikâ.
[4] Le mental est composé de quatre facultés principales : raison, mémoire,
volition et imagination (passive, à distinguer de bhâvanâ). Par aucune de ces
quatre facultés, ni par leur conjugaison, il n’est possible d’atteindre
l’Eveil. Mais, une fois l’Eveil obtenu, on « réalise » que le mental aussi est
dans Shiva puisque tout, absolument tout est dans la Conscience. Dès lors la
pensée est perçue comme une forme, une manifestation de la Conscience, et elle
cesse d’être une entrave. Il faut noter d’ailleurs que la « mise à mort du
manas dans le cœur » (qui est un des « trois joyaux » tantriques) n’implique
pas la cessation définitive de toute activité mentale. Ce qui est brisé,
« tué », c’est la relation entre l’ego et la pensée. Il reste une pensée mais
il n’y a plus de « penseur ».
[5] La principale différence peut-être entre les deux « non-dualismes », celui
du vedânta et celui du Trika, tient à la conception de la liberté. Le vedântin
pense essentiellement à « se libérer », à être « libre de » (en anglais
freedom from) et il met pour cela l’accent sur la renonciation, l’élimination,
l’isolement. L’approche du Cachemire est, elle, englobante, elle n’exclut
rien. C’est être « libre de » mais en un sens positif : « libre de faire » (freedom
to). Pour une comparaison approfondie entre les deux doctrines, nous
conseillons un excellent livre écrit par un Indien, L. N. Sharma : Kashmir
Saivism, Ed. Bharatiya Vidya Prakashan, U. B. Jawahar Nagar, Bungalow Road,
Delhi 110007.
[6] Tantrâloka IV, 273-275. Trad. Lilian Silburn.
[7] On présente trop souvent le tantrisme sous un aspect « froid » et « dur »,
en raison des excès (réels ou imaginés) de certaines sectes. Pourtant
Abhinavagupta, que l’on ne peut guère soupçonner de sentimentalisme, écrit:
« L’initiation doit être donnée sans hésiter à ceux qui ont reçu la grâce (shaktipâta)
et sont pleins de pitié (kripâ) et d’amour universel (maitri) » (Tantrâloka
XXIII, 22-23). Le Vijñâna-Bhairava, de son côté, cite comme des
disqualifications rédhibitoires la méchanceté et la dureté de cœur(158).
[8] Ce texte a été pour la première fois traduit en français et commenté
magistralement par Lilian Silburn, à laquelle on doit plusieurs autres travaux
remarquables sur le shivaïsme du Cachemire (Publications de l’Institut de
civilisation indienne, fasc. 15, Ed. E. de Boccard, Paris, 1961). J’ai proposé
aussi une traduction commentée du Vijñâna-Bhairava (Cent douze méditations
tantriques, Ed. L’Originel, Paris, 1988).
[9] Traduit et cité par Lilian Silburn dans sa préface au Vijñâna-Bhairava,
op. cit., p. 39-40.
[10] Les valeurs de grâce et d’abandon sont beaucoup plus développées dans le Trika (et le shivaïsme en général) que dans les formes de yoga précitées (au
Cachemire bhakti et tantrisme n’ont pas été contradictoires). Pour ce qui est
du gradualisme, on le trouve dans l’école Krama mais souvent, dans les autres
courants, la coloration « subitiste » domine. Quant à la « violence » enfin,
même lorsqu’on croit la déceler dans certaines pratiques du Trika (par exemple
dans le V.B. 93), elle ne ressemble en rien à l’effort systématique et extrême
du hatha-yogin sur soi-même: la douleur qu’on s’inflige est utilisée dans un
but d’« ouverture », non de domination des sens.
[11] Le cosmos lui-même est une Roue immense, homogène et parfaite, dont le
moyeu est la Conscience divine, Cœur universel. Cette doctrine est surtout
développée dans l’école Krama.
[12] Pour comprendre l’affinité entre la sensibilité tactile et le
cœur, il
faut se référer au système de correspondances entre les éléments (bhûta), les
facultés et organes de sensation (indriya) et les chakra. Le cœur correspond
à l’Air, au toucher et à la peau (ainsi qu’à la faculté de jouissance et au
sexe, si l’on suit le Satcakranirûpana, mais ce point de vue n’est pas commun
à toutes les écoles).
[13] « La vacuité est la Conscience qui, réfléchissant sur elle-même, se
perçoit comme distincte de toute l’objectivité en se disant: « je ne suis pas
cela (neti, neti) ». Tel est l’état le plus élevé auquel accèdent les yogin »
(Tantrâloka VI, 10). On voit donc que, si les Hindous ne renoncent jamais au
Soi, ils ne le conçoivent pas non plus comme une limite. Le Soi est à la fois
être et non-être, et par-delà être et non-être, par-delà plénitude et vacuité.
[14] La meilleure approche contemporaine de cette voie fut donnée par Jean
Klein, un des très rares Occidentaux à avoir reçu en Inde la double tradition
de l’advaita-vedânta et de l’ancien yoga du Cachemire.
[15] L’épanouissement de l’énergie dans le cœur peut néanmoins s’accompagner
de tremblements incontrôlables, de larmes, etc., réactions parfois dues à des
résidus non consumés d’existences antérieures.
[16] Selon un jeu de mots célèbre, Shiva sans Shakti (symbolisée par la lettre
I) est un shava (« cadavre »). Quant à Shakti sans Shiva, elle ne serait que
destruction pure, aveugle (Kâlî à la fin du cycle cosmique).
[17] Abhinavagupta, Tantrasâra, 60.
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