Le gnosticisme est un mouvement philosophico-religieux qui s'est développé aux II et IIIème siècles pour pratiquement disparaître au VIIème siècle. Son environnement est le monde méditerranéen et plus particulièrement dans des petites communautés disséminées en Égypte, Palestine, Syrie.
Il n'y a pas un gnosticisme mais des gnosticismes, disons plutôt des gnostiques qui partagent des croyances et des principes de base.
Tout d'abord la gnose (du grec gnôsis "connaissance"), une quête de la connaissance des mystères de dieu, de l'origine et de la fin des temps. A noter que si les gnostiques sont repérables dans le temps la gnose est intemporelle et n'est pas spécialement attachée à une religion car elle est la propension vers la connaissance de la pensée religieuse. Il est vrai que nous connaissons mieux les gnostiques "chrétiens", surtout parce que l'église chrétienne naissante a bataillé dur pour les éradiquer, les écrits des pères de l'église sont essentiellement négatifs à leur égard, le monde romain était vaste et mêlait nombre de peuples et de croyances et le gnosticisme a fermenté dans d'autres sphères religieuses, malheureusement peu de témoignages subsistes.
Le gnostique n'a pas la foi et ne croit pas en la raison, la gnose répond aux questions cruciales qui le hantent, qui suis-je dans ce monde mauvais, et qui étais-je avant ? Car ce monde est imparfait et cruel, il y a comme un malentendu, une erreur, sur cette terre nous sommes comme des étrangers, elle n'est pas notre vrai patrie. Il n'est pas possible qu'un dieu de bonté en soi responsable. De même le corps est une prison, une enveloppe de souffrance traversée de désirs et de passions dont la manifestation la plus grotesque est la procréation car elle mène à l'emprisonnement d'autres âmes dans cette enveloppe corporelle honnie. Cela explique les comportements des gnostiques en matière de sexualité, effrénée ou contrainte mais sans reproduction. Un dieu a créé l'univers, il est bon mais lointain et inimaginable, son œuvre a été pervertie par le véritable responsable un dieu mauvais (pour beaucoup de gnostiques le dieu des juifs et des chrétiens), le démiurge, Satan, qui a rendu le monde atroce et y a exilé l'homme dans une misérable enveloppe charnelle en le rendant inconscient de sa vraie nature.
Il n'est pas question de pêché originel mais plutôt d'une réintégration, pour le gnostique il faut quitter ce monde et ce corps débile pour retrouver l'autre monde, dénué de mal, spirituel. Le dieu transcendant n'a aucun pouvoir direct sur le démiurge et ne peut rendre meilleure la vie ici-bas, donc prier dieu dans ce but n'a pas de sens. Le salut viendra de la gnose, de la connaissance de dieu, par un retour sur soi. Un messie (ou maître) viendra pour le gnostique seul l'aider à remonter auprès de dieu. Le maître donne les moyens de se révéler à soi même.
L'esprit de la gnose ne fut jamais de déclencher une guerre fratricide dans une même religion, ou d'une religion à une autre, mais de les comprendre toutes et de fixer une tradition qui les harmonise. La règle générale de tous les gnostiques était le refus de la procréation ; ceux qui prônaient la continence, l'abolition du mariage, le faisaient dans cette intention ; ceux qui s'adonnaient aux rapports sexuels les rendaient inféconds au moyen de la contraception et de l'avortement. Il croyaient que le démiurge avait dit : "croissez et multipliez" afin de perpétuer le malheur de l'humanité sur terre, et qu'il fallait rompre la chaîne de l'évolution, ramener définitivement les âmes vers le huitième ciel, en s'abstenant de faire des enfants.
Sophia et les femmes gnostiques. Une des originalités les plus séduisantes de la gnose fut l'importance exceptionnelle qu'elle accorda à l'élément féminin en métaphysique et en morale. Pour la plupart des gnostiques, le saint-esprit s'identifie à une femme immatérielle, sœur et épouse de Christos ; l'âme est comme une jeune fille emprisonnée dans le corps de l'homme, les souffrances de Sophia incitent Jésus à la soulager et, à travers elle, à délivrer l'humanité tout entière. Ce féminisme ardent est la différence essentielle de la gnose avec la Kabbale, foncièrement misogyne. La valeur imprégnant de sa féminité la gnose fut Sophia, figure abstraite à laquelle on prêta bientôt une personnification romanesque. On savait qu'elle représentait la sagesse, un éon impalpable, mais on se passionna tant pour elle qu'on en fit une sorte d'Isis christianisée. Presque chaque groupe gnostique avait sa version de ses mésaventures. Le féminisme des gnostiques suscita parmi eux des femmes chefs d'école, ce qui ne se voyait pas ailleurs (Marcellina, Agapé).
Suivant les maîtres les interprétations différent, les mythes ne sont pas identiques. Si le démiurge est le fils de dieu, il est avant tout le fils de Sophia (ou pour d'autres Barbélô), le dernier des éons.
Peu de visionnaires dans le gnosticisme (Valentin, à qui le verbe apparut sous la forme d'un nouveau-né, Marcos, qui vit dans le ciel la Vérité comme une immense femme nue tatouée des lettres de l'alphabet, sont des exceptions), on y détestait les prophètes de la bible qu'on accusait d'être tous inspirés par le mauvais dieu (ce qui expliquait qu'ils annonçaient généralement des catastrophes).
Le salut par la connaissance : la gnose
Seule la gnose (du grec gnôsis,
"connaissance") peut sauver le gnostique,
l'élu, le "Vivant", l'"Unique", l'élever au delà du monde terrestre,
l'extraire de son enveloppe corporelle pour l'emmener auprès de l'Être
suprême. La gnose est comme un pont qui relie l'homme à l'au-delà, au paradis
perdu.
La connaissance est entourée de merveilleux, d'une aura magique pour celui qui
part à sa recherche. L'esprit de la connaissance, ce n'est pas la foi
chrétienne. Le gnostique n'a pas la foi, il n'est pas non plus adepte de la
raison. Il n'est aucunement fidèle à l'exemple du Christ sur la croix, qui a
souffert pour les hommes, selon les catholiques. Ce n'est pas l'imitation du
geste messianique qui le sauvera, mais la gnose. Par celle-ci, il redeviendra
une pure intelligence, un Noûs (divinité représentant la pensée suprême).
La gnose prend volontiers pour support des livres mystérieux, dits « allogènes
» , d'origine lointaine, différente, supérieure aux autres livres. Ce sont des
livres écrits par les maîtres d'une part, mais aussi par les entités vénérées
dans les sectes. Ainsi, le Livre sacré du Grand Esprit invisible, en usage
dans la secte des séthiens, aurait été écrit par Seth, l'un des fils d'Adam en
personne, et déposé par lui au sommet d'une montagne.
L'esprit de la gnose répond à un double questionnement : d'une part, savoir
qui je suis dans ce monde mauvais, et, d'autre part, savoir qui j'étais avant.
Cette question de l'origine du gnostique est cruciale. Le catholique se pose
la question de l'avenir, du rachat de la faute et du paradis promis. Le
gnostique, lui, cherche à savoir qui il était, et, lorsqu'il le saura, il se
demandera qui il sera. L'avant et l'après se mêleront. Il n'y aura plus ni
passé, ni avenir, ni présent, et la connaissance assurera l'éternité, qui est
un temps aboli. Lisons ces quelques lignes du logion 18 de l'Évangile selon
Thomas pour bien comprendre ces concepts : « Les disciples dirent à Jésus :
"Dis-nous comment sera notre fin." Jésus dit : "Avez-vous donc découvert le
commencement pour que vous cherchiez la fin ? Car là où est le commencement,
là sera la fin. Heureux celui qui se tiendra dans le commencement, et il
connaîtra la fin, et il ne goûtera pas de la mort'." »
Le repos est assuré pour qui trouve le royaume, qui est avant et après : « Où
veux-tu aller, Paul ? » demande l'Archonte, le gardien du septième ciel. « Je
veux aller au lieu d'où je suis venu », lui répond Paul (tiré de l'Apocalypse
de Paul). Le logion 10 de l'Evangile selon Thomas propose une autre vision,
plus métaphorique, voire allégorique : « Jésus a dit : "[...] Vous avez, en
effet, cinq arbres dans le Paradis qui ne bougent ni été ni hiver et dont les
feuilles ne tombent pas. Celui qui les connaîtra ne goûtera pas de la mort." »
Notons au passage que ces cinq arbres ne sont pas étrangers à la tradition
manichéenne qui les nomme les « cinq arbres de lumière » . Ce sont en réalité
les cinq sens « spirituels » , les cinq sens de l'âme, et se rapportent au
Noûs, à la pensée, ou encore à l'intelligence. Ces cinq sens symbolisent la
perception, l'intellection, le jugement du « nouvel homme ».
Le gnostique veut «connaître» . Mais que veut-il connaître ? La réponse au
pourquoi de l'existence du gnostique, d'une part, mais aussi la réponse à la
question de son devenir. Par conséquent, le gnostique connaîtra les mystères
de Dieu et l'origine des choses divines. Le visible et l'invisible,
l'infiniment petit et l'infiniment grand, la structure du monde et son devenir
n'auront plus de secrets pour lui. La phrase de Jésus, dans la Réfutation du
Psaume des naassènes (transmis par Hippolyte) résume bien le sens de la gnose
: « Je dévoilerai le mystère de la voie sainte, en l'appelant connaissance. »
Cette connaissance n'est pas « intellectuelle » , il ne s'agit pas pour le
gnostique de lire la Bible ni de détenir la science du monde d'ici-bas. Cette
quête est d'abord bien évidemment celle de la signification des phénomènes
humains : pourquoi ont été créés la lumière, les ténèbres, la bonté, la haine,
la pureté, l'esclavage, les animaux, etc. Mais cette connaissance est encore
ressentie comme une révélation intérieure. Car connaître, c'est aussi se
connaître, se re-connaître. L'être s'unit à lui même par la gnose, il se lit
comme s'il se voyait dans un miroir que lui tend le divin. On se connaît tel
qu'on est connu de Dieu, tel qu'on est réellement en soi. Et, du même coup, on
connaît Dieu. De ce fait, l'initié peut entrer dans le royaume de Dieu, au
plérôme (mais nous verrons plus loin que ce voyage est semé d'embûches). « La
connaissance de l'homme est le commencement de la perfection ; la connaissance
de Dieu en est la consommation » (cité par Hippolyte dans Philosophoumena).
On le voit, cette connaissance est, dirions-nous aujourd'hui, une prise de
conscience de son moi intérieur et de son identité, une attitude
existentielle. Elle peut être aussi une connaissance de soi qui consiste à
percevoir au fond de soi les dualismes primordiaux : bien/mal, lumière/ombre,
ignorance/savoir, juste/faux, bien-être/mal-être... et à renverser la tournure
des choses voulues par le démiurge, le mauvais dieu, qui, rappelons-le, a créé
un monde factice, où toute valeur est inversée, détournée de son sens initial.
Une connaissance qui, dès que le gnostique la possède, se donne tout entière,
d'un seul coup, ou pas du tout.
L'absence de connaissance, l'ignorance, qui caractérise les autres humains,
les non-élus, les non-gnostiques, les ramène au rang de "pauvres", selon un
terme consacré. Ainsi, le logion 3 de l'Évangile selon Thomas dit: "Quand
vous connaîtrez, alors vous serez connus et vous saurez que vous êtes les fils
du Père qui est vivant, mais si vous ne connaissez pas, alors vous êtes dans
la pauvreté." Ne pas connaître, ignorer, c'est être voué à la pauvreté,
c'est-à-dire à la mort. Celui qui ne connaît pas a les mains vides. Il peut
être riche sur terre, posséder beaucoup, jouir d'une adulation auprès de ses
semblables, être en bonne santé mentale et physique. Qu'importe, cela ne
suffira jamais à le protéger de la mort, du néant, à lui donner l'immortalité.
Seule la gnose donne la vie, même si le séjour sur terre se révèle des plus
insoutenables.
Cette idée que l'ignorance et le mal vont de pair existait déjà chez Platon et
n'est par conséquent pas neuve, mais elle prend une force dans la doctrine
gnostique qui reflète bien l'élitisme de celle-ci. Les auteurs catholiques ont
d'ailleurs reproché cet élitisme, eux qui voyaient dans la figure du Christ le
seul "élu" de Dieu : des humains ne pouvaient avoir ce privilège au même
titre que l'envoyé de Dieu.
Toutes sortes de termes symbolisent chez les gnostiques le passage de l'état
d'humain emprisonné à celui de connaissant. Tout d'abord, et le mot revient
très fréquemment, il faut "réveiller" le gnostique qui dort dans son enveloppe
terrestre. C'est le premier pas vers la connaissance. Connaître, c'est passer
du stade du mort à celui du vivant. Et être vivant, c'est ressentir la joie de
vivre, être libéré des jougs terrestres, des maux quotidiens.
La connaissance, si elle est, pour certains gnostiques, la conséquence d'une
révélation intérieure, s'acquiert pour d'autres - les deux sont d'ailleurs
compatibles - par le truchement d'un maître ou d'un messie. Le maître donne
les moyens de se révéler à soi-même.
On le sait, les gnostiques vivaient rassemblés en sectes isolées, recluses,
ayant de temps en temps des contacts avec les autres sectes. Parmi eux, un «
révélateur » , un maître à penser était chargé de révéler les mystères de
Dieu.
Muni de vérités insoupçonnées, le maître éveillait l'esprit des adeptes et
leur permettait l'accès à la connaissance. Ses révélations devaient rester
secrètes : en cas de diffusion, elles risquaient d'être détournées de leur
caractère élitiste. Pour devenir un adepte, il fallait être pur et n'avoir
d'autre but que celui de quérir la gnose.
Dans certaines sectes gnostiques, les disciples devaient passer par plusieurs
stades avant de devenir des purs. Les auditeurs, encore ignorants, attendaient
de devenir des parfaits, des saints.
Les sectes font preuve de prosélytisme dans leur recrutement. Avec diplomatie,
les membres de la secte amènent peu à peu les futurs disciples à s'intéresser
aux mystères qui vont leur être confiés. Ces mystères doivent être rendus
crédibles à leurs yeux ; alors, enfin, les disciples déjà convaincus seront
dirigés vers le savoir divin.
Les recruteurs s'en vont quérir les futurs adeptes sur les routes, sur les
places publiques, à l'image des apôtres. Face aux chrétiens, le gnostique se
présente d'abord comme son frère, évitant de parler du contenu de sa doctrine.
Il joue le rôle du sectaire persécuté, ne comprenant pas pourquoi l'Église
s'acharne tant sur des communautés si proches en pensée du christianisme.
Ensuite, lorsque l'interlocuteur semble intéressé, le recruteur lui fait
miroiter les vérités auxquelles le chrétien accéderait s'il entrait dans sa
communauté. Un peu de magie, un peu de salut, et souvent l'interlocuteur se
laisse convaincre. À en croire le récit d'Épiphane de Salamine (Panarion),
certaines sectes n'hésitaient pas à envoyer les plus jolies de leurs recrues
pour entraîner le passant.
L'accès à la gnose s'accompagne pour un nombre non négligeable de sectes de
sacrements spécifiques. Des cérémonies sont organisées, où l'on expose des
peintures aux figures symboliques, des bannières colorées, des icônes à
l'effigie du maître (ainsi de Simon le Magicien sous les traits de Zeus), etc.
Le baptême n'est pas fondamentalement exclu - de nombreuses sectes sont
baptistes -, ni l'eucharistie. Les cérémonies s'accompagnent de psalmodies,
d'invocations au Dieu suprême, que l'on informe de l'état de gnose dans lequel
se trouve enfin l'adepte, pensant ouvrir la voie vers le plérôme.
Dès pierres, signées Abraxas, servent aussi de talismans. Des symboles issus
des mystères grecs et orientaux sont en usage, comme le phallus, ou la coupe
où l'on boit le breuvage divin, ou encore le livre initiatique... Certaines
sectes, tels les ophites, rendent un culte à un animal, le serpent, autour
duquel les membres disposent des pains.
Ces rites et sacrements permettent l'accès au salut ; ils préparent à leur
manière le retour au royaume du Père. Ils restituent l'union qui existait
entre le pneuma sur la terre et son double demeurant là-haut.
Le gnosticisme s'est
essentiellement répandu entre le Ier et le IVème siècle apr. J.-C. dans une
vaste région couvrant Byzance (avant que la ville ne devienne la grande
Constantinople), Rome (le catholicisme devient religion d'État au début du me
siècle, sous l'empereur Constantin, les autres religions deviennent par
conséquent hérétiques aux yeux de l'Église, qui cherchera à tout prix à les
éliminer), Antioche et Alexandrie.
La diversité ethnique qui compose cette région a favorisé l'éclosion d'une
multitude de sectes païennes et chrétiennes, issues de multiples horizons
religieux et philosophiques. Les gnostiques furent l'une des principales
sectes entre le ne et le ,le siècle, et l'on pense qu'ils auraient pu devenir
la première religion de la région s'ils s'étaient regroupés en Église forte.
On sait peu de chose en somme sur les premiers gnostiques, on en connaît les
influences juive et grecque, mais on ne sait où naquit vraiment le mouvement
gnostique.
Les penseurs du mouvement sont d'abord des errants, qui, à l'instar des
apôtres, vont courir les routes de Samarie, de Grèce et de l'Empire romain
tout entier. Leurs chemins se croisent avec ceux des apôtres, et il y a fort à
parier que la lutte fut âpre pour gagner la confiance des autochtones.
Simon de Samarie et les premiers fondateurs du gnosticisme sont non seulement
des prophètes, mais ils se présentent aussi comme l'incarnation de puissances
célestes, ou leurs doublures.
Les successeurs des premiers prophètes gnostiques se disent dépositaires d'un
message secret et vont jusqu'à créer des écoles, des communautés. Ils écrivent
beaucoup (malheureusement, peu de leurs textes nous sont parvenus, mais on en
connaît la portée grâce aux Pères de l'Église) et reproduisent, chacun à sa
façon, les mythes gnostiques.
Certains penseurs gnostiques seront titulaires d'une charge au sein de
l'Église catholique installée, mais auront maille à partir avec l'autorité
religieuse pour cause d'hérésie ou d'incitation à l'hérésie.
Peu à peu, le mouvement gnostique s'étiole, et il ne subsiste que quelques
communautés isolées à partir du Vème siècle.
Les textes attribués aux gnostiques sont nombreux. On ne jurerait pas toujours
de la crédibilité de leur origine, cependant, les contenus des manuscrits
retrouvés à Nag-Hammadi attestent la teneur gnostique de textes plus anciens
cités par les Pères de l'Église, qui ont peu raconté sur la vie menée par les
gnostiques, s'attachant plutôt à critiquer la doctrine, ce que l'on peut
concevoir dans une époque de construction de l'Église.
Le démiurge
Le démiurge est fils de Dieu, bien entendu, mais il est plus directement le
fils de Sophia, le dernier des éons. Le mythe de Sophia est l'un des mythes
gnostiques les plus connus, et il a subi de nombreuses transformations au
cours de ses multiples réécritures. On en trouve trace dans l'Hypostase des
Archontes, la Pistis Sophia, dans des écrits hermético-gnostiques comme le
Poïmandrès...). Il existe d'autres mythes de la création du monde par le
démiurge, Sophia est alors Barbélô ou une autre divinité, mais le démiurge est
toujours situé au dernier rang des éons.
Sophia voulut un jour voir l'Éternel, ou imiter le Suprême en son pouvoir
créatif. Pour cela, elle se sépara de son partenaire masculin, Limite - ou la
Croix (rappelons que les éons vont toujours par couple). Mais son entreprise
échoua. Elle chuta du plérôme, éblouie par la Lumière. Cependant, une parcelle
du Désir suprême est parvenue à la mettre enceinte, et elle engendra un être
monstrueux, à visage de lion et au corps de serpent, un être fou d'orgueil,
malicieux, vil : le démiurge.
Le démiurge dut à sa mère de lui avoir tout de même légué une parcelle
d'intelligence. Prise de honte, Sophia recouvrit sa création d'un voile pour
la cacher, voile qui symbolisait la limite du monde matériel. Le voile
représente le ciel étoilé perceptible par le mortel.
Dans une autre version, c'est Limite, le partenaire de Sophia dans le plérôme,
qui réalise cette séparation, en installant une « frontière » . Dans une autre
version encore, Dieu réagit aussitôt à l' « erreur » de Sophia en séparant le
monde parfait (le plérôme) du monde d'en dessous.
Le fils de Sophia, le démiurge, qui est diversement appelé Ialdabaôth, ou
Sacla, ou encore Sabaoth, se libère assez rapidement du joug maternel et
décide de créer le monde et l'homme, à l'image du Dieu puissant.
Pour mener à bien sa création, il façonne d'abord les archontes, qui sont des
puissances mauvaises et qui vont l'aider dans sa création. Le démiurge est
lui-même nommé l'Archonte ou le Premier Archonte, c'est-à-dire le chef des
archontes.
Certains textes gnostiques précisent le nombre de ces archontes. Ils sont
d'abord divisés en deux groupes : d'une part, douze puissances correspondant
aux signes du Zodiaque ; d'autre part, sept planètes visibles unies à cinq
puissances célestes. À ces groupes viennent s'associer un certain nombre
d'anges ou archanges. L'ensemble se chiffre à environ trois cent soixante ou
trois cent soixante-cinq (selon certains) « souverains » qui règnent aux côtés
du démiurge.
Toutes ces entités sont assemblées en une hiérarchie complexe, et le tout
symbolise le temps que dure une année, fixant par là l'unité du monde
d'ici-bas.
Aidé des archontes, le démiurge façonne ensuite Adam, le premier homme: «Faisons un Homme, à l'image de Dieu et à notre image, afin que son image nous
serve de lumière!» s'exclame le démiurge. L'homme, nous dit un texte
gnostique anonyme, est un conglomérat de plusieurs éléments : «Nous avons
pris du ciel une parcelle ; nous l'avons mêlée et fondue avec une parcelle de
la terre et nous avons fabriqué l'homme.»
Mais cette créature, pourtant fabriquée à l'image du Dieu supérieur, est pour
le moins boiteuse, imparfaite. Elle n'a pas encore de corps, ni de parole, ni
de vie. Elle est une chose étrange, posée là sur la terre, sous les regards
des archontes étonnés et déçus. Cette créature est sans esprit, sans
substance, elle n'est qu'un «prototype» .
Sophia, qui veut se venger de son fils, lui conseille alors d'insuffler dans
cette créature le peu d'intelligence qu'elle même lui avait transmise (c'est à
Dieu que revient cette ruse, selon certaines autres sources). Le démiurge
s'exécute aussitôt.
Malheureusement pour lui, l'homme est devenu intelligent, et lui-même,
l'Archonte, vient de perdre ce qu'il avait de plus précieux en lui.
Maintenant, l'homme lui est supérieur. Ce renversement de statut ne peut le
satisfaire. Alors, pour se venger, le démiurge emprisonne l'âme de l'homme
dans une enveloppe dont il ne pourra s'échapper : c'est le corps. Cette
vengeance a une autre raison : l'Archonte s'est aperçu que l'homme est
profondément bon et se rapproche du Dieu des origines.
L'un des théoriciens gnostiques, Saturnin, affirme que les démiurges ont
fabriqué l'homme sur une sorte d'intuition qu'ils eurent de son existence
formelle. Dieu, pris de pitié devant cet être glaiseux, juché sur deux jambes
fines et fragiles, lui insuffla la vie et la parole. Le mythe de la chute se
transforme chez un autre auteur, Basilide. Les ténèbres ont un jour volé à la
lumière le miroir qui les reflétaient, inversant le dualisme premier du jour
et de la nuit, de la lumière et de la pénombre, du bien et du mal. Par la
gnose, le gnostique pourra retrouver la vraie lumière, la vraie "valeur" des
choses.
Le corps de l'homme, les archontes vont le façonner de tous matériaux. Les
substances essentielles qui composent ce corps sont la terre, l'eau, le vent
et le feu. Ils vont lui insuffler le désir, le plaisir, la douleur, la peur,
bref, tout ce qui peut blesser indirectement l'âme.
Le démiurge et les archontes n'ont de cesse d'entraver la destinée de l'homme.
Déluges et cataclysmes divers sont déclenchés pour faire souffrir le Parfait
dans sa prison terrestre. La Bible regorge d'événements dramatiques qui
confrontent l'homme face à son destin, et les gnostiques y puisent matière à
leur argumentation à l'encontre du Dieu des juifs.
Afin de le perdre définitivement, les archontes et leur chef imaginent le sexe
et la sexualité comme arme de soumission. Ève est créée après Adam. Mais le
Dieu d'En Haut envoie le Sauveur auprès d'Adam et Ève afin de leur faire
connaître les mystères de leur origine. Le Sauveur vient sous la forme d'un
serpent, le fameux serpent de la connaissance de la Genèse. Mais, selon la
Bible, décriée par les gnostiques, Ialdabaôth intervient et punit Adam et Ève
en leur interdisant l'accès à la connaissance de Dieu. On le comprend, ce
mythe donne un prétexte à la quête de la gnose qui obsède tant les gnostiques.
L'Archonte désunit ensuite les deux êtres primitifs, parfaits initialement, et
en fait deux êtres angoissés, impurs, délaissés, et en perpétuelle quête de
leur salut.
Le Mal achève son oeuvre maudite par la procréation, inévitable car issue du
désir. L'homme et la femme s'unissent, enclenchant l'incessante ronde des
naissances. Les générations engendrent les générations, et cela ne s'arrêtera
jamais. Le sexe est irrémédiablement lié à la pérennité de l'humanité, et la
cause de l'emprisonnement de l'âme sur cette terre.
Le mythe de Sophia, de la chute, de l'accident initial dit, pour le gnostique,
toute sa souffrance existentielle et sa certitude d'être tombé là par erreur,
par l'effet d'une machination. Adam, nous dit ce mythe, n'est pas responsable
de la faute originelle : le Dieu de la Genèse, le grand manipulateur de
l'Ancien Testament, est le seul à mettre en cause. Les maîtres du gnosticisme
vont se pencher avec résolution sur les récits fondateurs du christianisme
afin de démontrer, textes à l'appui, qu'ils ont vu juste.
Pour l'homme et la femme les archontes créent le temps, l'espace et le destin,
qui sont à l'origine des injustices, des misères, des obscurantismes du
monde... Seule la conquête de la gnose assurera l'éternité, là où règne
l'intemporel.
Le temps qui régente la vie est fausseté, duperie, il aliène l'homme. Il est
l'illustration de la fatalité. Il éloigne le gnostique du vrai Dieu, et
celui-ci aspire à le quitter. Le gnostique ne croit pas à l'histoire, et il
sait bien que la continuité du temps est liée à la procréation, qu'il
proscrit, car procréer, c'est faire durer la duperie du monde mauvais.
L'initié est hors du temps : « Vous êtes immortels dès le principe » , déclare
Valentin à ses initiés (cité par Clément d'Alexandrie).
Un mot de la différence qui peut exister entre les conceptions gnostique,
chrétienne et grecque du temps. Pour schématiser, on peut dire que le temps
est circulaire pour le Grec - le stoïcien qui pense qu'un événement s'est déjà
joué dans le passé, se joue au présent et se jouera encore dans le futur, ce
qui revient à dire que le monde ne s'arrêtera jamais. Il est linéaire pour le
chrétien, qui conçoit la marche de l'histoire comme l'attente de la venue du
Christ, le temps est en devenir, de la création vers le jugement dernier. En
revanche, le temps est nul, inexistant pour le gnostique, il est un présent
éternel. Il n'y a pas de fin du monde, seulement l'accession au monde
supérieur. En cela, on a pu rapprocher le gnosticisme de l'existentialisme,
pour qui seul compte le présent.
En revanche, le gnostique (certaines sectes, ou le manichéisme, par exemple)
croit en la réincarnation des âmes dans de nouveaux corps. Le corps renaît à
plusieurs reprises, et cela jusqu'à la révélation, qui séparera âme et corps,
l'âme devant retourner au ciel.
Encore un dernier mot sur l'opposition entre le Dieu bon et le dieu mauvais et
la création de l'homme. Cette conception n'est pas exclusivement gnostique,
puisque déjà les philosophes grecs, notamment Platon, dans le Timée,
concevaient l'existence d'une dualité et pensaient que le moi n'est pas de ce
monde, qu'un accident s'est déroulé dans la création et que l'homme a échoué
sur la terre. En revanche, certains gnostiques, comme Cérinthe (fin du
te`-début du ne siècle), prétendent que le Dieu créateur ignorait l'existence
du Dieu ineffable.
À noter que l'ensemble des théories dualistes gnostiques oscillent entre un
dualisme radical et un dualisme plus souple.
La Paraphrase de Sem, écrit séthien, propose une vision plutôt radicale,
opposant à l'origine la Lumière aux Ténèbres.
Pour se défaire de l'illusion, le chemin à parcourir est long et semé
d'embûches.
Le plérôme et les éons : le royaume du Père
Ce qui est intéressant dans la conception gnostique de Dieu et de la gnose,
c'est qu'elle va plus loin que la conception « transcendante » d'un Dieu
tout-puissant, sorte de supra-intelligence régnant sur l'univers, car,
paradoxalement, Dieu et la quête de Dieu sont inhérents au devenir du
gnostique. C'est au fond de lui-même, dans la mesure où il l'a (re)trouvé
grâce à un retour sur soi, à un repli vers l'intérieur de soi-même, à un
retour aux origines de l'être, que la gnose se découvre.
Dieu, qui est aussi métaphoriquement appelé le Royaume, est par conséquent à
l'intérieur comme à l'extérieur de l'élu gnostique. Ce dernier est d'ailleurs
aussi en lui comme dans son royaume : « [...] le Royaume est à l'intérieur de
vous et il est à l'extérieur de vous » (logion 3 de l'Évangile selon Thomas).
Si le gnostique part en quête du Dieu transcendant, le « simple » mortel ne
doit et ne peut pas connaître Celui qui est.
Ce royaume est hors du Temps et hors de l'Espace : « [...] Le royaume du Père
est répandu sur la terre, et les hommes ne le voient pas » (logion 113 de
l'Évangile selon Thomas).
Ce royaume, ou ce monde céleste, est fréquemment nommé plérôme (« plénitude »
, en grec). Il est composé d'êtres supérieurs, appelés éons (du grec aiôn,
éternité). Plus que des êtres, ce sont des émanations divines qui fonctionnent
par paires esprit et foi, éloge et prudence, lumière et sagesse... Les éons,
ce sont aussi des âges, des moments, des unités de l'univers qui se déploient
dans le temps et dans l'espace (ligne, volume, instant, jour...). En chacun
des éons s'enroulent des cieux, des cercles, à l'image du plérôme lui-même, et
qui en sont des sous-ensembles.
Une multitude de cercles hiérarchisent le plérôme. En haut, il y a le Père,
bien entendu, mais il y a aussi les éons - dans le Traité tripartite, il est
dit que des hommes habitent aussi le cercle d'en haut, et que ces hommes sont
là depuis plus longtemps. Ce sont les saints esprits, les doubles des humains
sur la terre, leur âme en attente, qui souffrent de cette plaie due à la
séparation d'avec leur double terrestre.
En bas, il y a les humains et, entre les deux, toutes sortes d'éons aux
pouvoirs plus ou moins importants. Cette conception céleste, soit dit en
passant, rejoint largement celle qu'avaient les Grecs et les Romains
concernant l'univers.
Vraisemblablement, cette vision des différentes strates circulaires qui
composent le ciel s'explique par le fait que le Grec, le Romain, le gnostique
ont intuitivement l'impression que, très loin dans le ciel, les astres et les
planètes doivent se combiner entre elles en rondes figées, et que l'Être
suprême est caché quelque part au-dessus de nos têtes dans cet amas immense de
matières inconnues. Cependant, si les Grecs attribuent un pouvoir aux astres,
les gnostiques ne voient dans leur pérégrination qu'une fatalité de plus. Ces
corps célestes sont mauvais, néfastes, ils présideraient au destin de l'homme,
mais selon quelque mauvaise volonté, insufflée par un dieu raté, mauvais,
déchu, le démiurge. Ces astres, ces "sphères" empêchent l'âme de pérégriner
vers le Dieu caché.
Le Dieu caché n'a pu cependant empêcher qu'un démiurge crée le monde et exclue
l'homme du monde d'en haut.
Simon le magicien est associe à Pierre en fonction
de la règle de syzygie (syzygie=couple de réalité complémentaire, le ciel et
la terre, le soleil et la lune).
Simon (l'hestôs=l'immuable) était partout accompagné d'une prostitué Hélène,
qu'il présentait comme la première pensée (l'Ennoia) de dieu. Le culte
d'Hélène était la partie sublime de la gnose simonienne. Toutes les religions
sont remplies de mégalomanes qui se prennent pour dieu ou pour l'envoyé de
dieu : rien de plus banal, en somme, et cela ne distingue pas Simon des
autres. Mais qu'il ait eu l'idée sans précédent de faire de la première pensée
de dieu un principe féminin (alors que le dieu de la genèse crée d'abord
l'univers et l'homme), de montrer ce principe aboutissant à un bordel
phénicien (tandis qu'Athéna sortie de la tête de Zeus restait une vierge
incorruptible), était d'une audace inouïe aussi bien devant les païens que
devant les chrétiens. Simon fonde ainsi le féminisme révolutionnaire et la
théologie érotique de la gnose.
Carpocrate et son fils Épiphane, mort à dix-sept ans mais particulièrement doué pour son jeune âge, ont marqué le gnosticisme du IIèmè siècle apr. J.-C.
Saturnin
De la vie de Saturnin, on sait peu de chose, si ce n'est qu'il vécut à
Antioche, ville de Syrie qui devint le point de rencontre entre l'Orient et
l'hellénisme. Là, Saturnin fonda une école à orientation gnostique.
La doctrine de Saturnin s'attache à expliquer la création de l'homme et sa
condition négative sur terre. À l'origine, il y a Dieu, qui est inconnu, et
qui donna vie aux anges et aux archanges. Sept d'entre eux, représentés par
les sept planètes, astres animés de vie considérés comme négatifs, eurent un
jour une vision, celle d'un être vivant, nouveau, ni ange ni archange, qui
pourrait devenir leur oeuvre par-devers Dieu. Ils fabriquèrent l'homme.
Cependant, ils ne possédaient pas autant de pouvoir que le Supérieur, aussi
leur création fut imparfaite. Alors Dieu, qui eut pitié de cette engeance
ratée, décida de lui insuffler l'étincelle de vie. Ce qu'il fit.
Malheureusement, étant imparfait, l'homme ne pouvait espérer atteindre
l'éternité. Sa faible condition l'obligeait à une courte existence. Seule
l'étincelle qui brûle au fond de lui le relie au Dieu inconnu.
Épiphane
Épiphane, le fils de Carpocrate, reprend les théories du père et les complète
avec intelligence. Cet adolescent précoce fut le véritable objet d'un culte
dans son île grecque de Céphalonie (on lui dédia un temple). Il est comparé
par Jacques Lacarrière à un «Rimbaud gnostique» : «adolescent au savoir
encyclopédique et au génie précoce». Épiphane - à ne pas confondre avec
Épiphane de Salamine - est l'auteur d'un seul livre : Sur la justice, dont un
long passage est cité par Clément d'Alexandrie.
Ses influences sont platonicienne et gnostique. Pour Épiphane, l'homme a droit
à l'égalité et aux biens voulus par Dieu. Malheureusement, les lois du monde
l'en empêchent. Il faut s'insurger. « C'est du jour où la communauté n'a plus
été comprise au sens d'égalité et a été déformée par la Loi qu'elle a produit
le voleur qui vole bêtes et fruits. Dieu ayant tout créé pour la jouissance
commune de l'homme, il a réuni l'homme et la femme pour un commerce commun et
il a accouplé pareillement tous les êtres vivants pour manifester sa justice
comme la communauté dans l'égalité » (Clément d'Alexandrie, Stromates, 111, 2,
3 et 9).
On l'aura compris, Dieu a donné tout à chacun sur cette terre. Ainsi est
l'œuvre de la bonté divine.
Marc
le Mage
Marc le Mage est un passionné de numérologie, et s'est fait remarquer par sa
volonté de réintroduire la notion de sacrements dans la voie du salut. Saint
Irénée, qui l'a fait connaître, le fait passer pour un faiseur de miracles, un
autre thaumaturge, comme son prédécesseur Simon - un faiseur de miracles aux
yeux de ceux qui n'ont jamais de bon sens ou qui l'ont perdu (Contre les
hérésies). Selon l'hérésiologue, le maître gnostique duperait les femmes de la
haute société, dont il abuserait par la suite...
Bardesane d'Édesse
Il est d'abord valentinien, puis se retourne très vite contre ses origines et
forge sa propre doctrine teintée de « dualisme cosmique » .
Justin
Au milieu du 2ème siècle, Justin fait figure d'original. Passionné par les
mythologies grecque et hébraïque, il tente d'en faire la synthèse dans une
oeuvre toute cosmogonique, le Livre de Baruch. Le désir amoureux en est le
sujet central : l'homme est condamné à en souffrir toute sa vie.
À l'origine, il y a le Tout. Ce Tout est composé du Bon, qui est le Père, ou
Élohim, et d'un principe féminin, appelé Éden, qui est moitié serpent, moitié
sexe. De l'union d'Élohim et d'Éden naissent douze anges masculins (dont
Baruch, qui est le Messie) et douze anges féminins. De cette union naissent
aussi deux autres entités : l'homme, qui est issu de la moitié supérieure
d'Éden, et le règne animal, de sa moitié inférieure.
Élohim décide un jour de quitter Éden pour aller rejoindre le Dieu bon et
ineffable. Vexée, Éden veut se venger. Elle répand l'adultère parmi les
humains et envoie le serpent tourmenter l'Esprit qu'Élohim a greffé en
l'homme. Cette double mauvaise action crée du désordre dans les rapports
amoureux entre les humains. Il faut attendre la venue de Baruch le Messie pour
que l'homme soit sauvé.
Le démiurge de Justin n'est pas foncièrement mauvais, il agit de manière
aveugle, et il est ignorant de ses actes. II « n'est doué ni de la prescience,
ni de la science, ni de la vue » (cité par Hippolyte).
Marcion
Docteur hétérodoxe chrétien du 1er siècle (v. 85-v. 160), Marcion est à
rapprocher du gnosticisme par ses conceptions. Il est l'un des penseurs les
plus favorables à la constitution d'une Église. Il ne s'en priva pas,
puisqu'il en fonda une, voire plusieurs, hiérarchisées, entrant en concurrence
directe avec la chrétienté de l'époque et provoquant un véritable schisme en
son sein. Il fut vite considéré comme hérétique et combattu.
Marcion aurait eu des milliers de disciples. On trouve des traces du
marcionisme en Syrie au Vème siècle apr. J.-C., et de nombreuses Églises
marcionites se répandirent pendant plusieurs siècles en Mésopotamie, en Perse
et en Arabie.
Originaire de la ville de Sinope, située au bord de la mer Noire, Marcion
exerça les activités d'armateur, d'homme d'affaires et de voyageur. On le dit
fortuné. Il appartient à la même génération que les disciples de Simon le
Magicien. Son père fut évêque de la communauté chrétienne de Sinope (aux
premiers temps de l'ère chrétienne, les prêtres et les évêques pouvaient se
marier).
C'est à travers les écrits de ses adversaires, notamment ceux de Tertullien (Adversus
Marcionem), que nous connaissons sa doctrine.
Marcion est un docte savant. Il possède une solide connaissance de la Bible et
des Évangiles. Il est chrétien mais est très vite excommunié (en 144, par son
propre père, dit-on !).
C'est à lui que l'on doit les termes d'Ancien et de Nouveau Testament.
Contrairement aux premiers gnostiques, qui sont un peu « magiciens », Marcion
est un rationnel, un théologien, qui défend sa doctrine d'une façon pointue et
documentée.
Avec ses Antithèses, Marcion aborde la question du dualisme, auquel il croit
fermement, et rejoint la position gnostique concernant le Dieu de la Bible.
Opposé au Dieu de l'Ancien Testament, celui des Évangiles se révèle en Jésus,
son fils. La Bible n'a pour Marcion rien d'allégorique, elle raconte tout
simplement la véritable histoire d'un Dieu tyrannique et injuste, responsable
de la dérive du monde.
A l'encontre des autres chrétiens, Marcion opte pour un christianisme
antisémite et purement grec, un christianisme qu'il dit «primitif». À Rome, où
il vit, nombreuses sont les persécutions de juifs, qui en appellent à la
révolte (dix mille juifs sont exterminés par l'empereur Trajan). Pour Marcion,
le christianisme doit s'adapter au paysage politique (l'Empire romain), et il
est impératif de réunir Rome et la chrétienté. Il serait le fondateur du
christianisme occidental. Luther a vu en lui le premier « protestant » .
Des écrits évangéliques, Marcion ne conserve que l'Évangile de Luc, dont une
version est proposée dans les Antithèses : faciles à lire, à la théologie
claire, ces Antithèses jouiront d'un franc succès, comparées aux Évangiles et
autres écrits chrétiens qui lui paraissent flous, abstrus et difficiles à lire
pour le peuple. Outre l'Évangile de Luc, Marcion tolère dix des Épîtres de
Paul, mais expurgées par ses soins. Selon lui, tous les autres écrits ont été
rédigés par de mauvais « rapporteurs » des paroles de Jésus, des ignares et
des prétentieux. Marcion opte pour une morale rigoureuse. Il faut pratiquer
l'ascèse et l'abstinence (le mariage est interdit), et les disciples doivent
se préparer à finir en martyrs.
Apelle fut l'un des disciples de Marcion, qui, à l'instar des autres
disciples, s'empressa de diffuser le marcionisme dans le monde méditerranéen.
En Gaule, à Lyon plus particulièrement, le marcionisme fut combattu par saint
Irénée, alors évêque de la ville. On trouve encore des marcionites au Vème
siècle.
Valentin
Les dates de naissance et de mort de Valentin, haute figure du gnosticisme,
aussi bien théologien que philosophe et poète, sont incertaines. On suppose
généralement que ce gnostique d'origine égyptienne mourut vers l'an 160 apr.
J.-C., et qu'il vécut essentiellement à Rome entre 135 et 160. Auparavant, il
vécut à Alexandrie, où l'on pense qu'il devait déjà professer un enseignement
de type gnostique. Sur le tard, il faillit devenir évêque. Sa doctrine, qui ne
nous était connue - durement critiquée que par les écrits d'Irénée de Lyon et
de Tertullien, a été enrichie de nombreux textes valentiniens découverts en
1945 à Nag-Hammadi.
Valentin, qui a le plus enrichi le gnosticisme, s'affirme chrétien, mais il
est fortement influencé par les philosophies égyptogrecques et perses. Il se
dit héritier d'un enseignement secret que lui aurait révélé l'un des disciples
de l'apôtre Paul, un certain Théodas.
La pensée de Valentin est quasi indéchiffrable pour le néophyte, car
allégorique. Seuls les hérésiologues Clément d'Alexandrie et Hippolyte de Rome
se sont penchés sur les textes valentiniens au contenu abscons et en ont tiré
la matière d'une doctrine vivante.
Quelle est-elle, cette doctrine ? Elle est proche de celle de beaucoup
d'autres maîtres gnostiques, à cette différence que Valentin récupère à son
compte, en le développant, le mythe de Sophia (voulant dire « sagesse » en
grec), l'un des principaux mythes fondateurs du gnosticisme.
Valentin est aussi le père du terme « éon », compris comme l'entité suprême,
d'une part, et, d'autre part, comme la succession des entités qui lui
succèdent, toutes de moins en moins parfaites, au fur et à mesure que l'on
s'éloigne de l'entité première et crue l'on s'approche de la création
terrestre.
A l'instar de ses prédécesseurs, Valentin place donc l'éonDieu, le Vrai, le
Bon, l'Inexprimable, l'Abîme, ou encore Propâtor, au sommet du plérôme. Ce qui
est ensuite remarquable, c'est qu'il organise la succession des éons par
paires masculinféminin. Dieu, Lui, est masculin, et l'élément féminin Ennoïa
(la Pensée ou le Silence) lui est attaché.
Du couple initial sont issues d'autres générations de couples d'éons, dont le
fils Noûs (l'Intelligence), appelé aussi le monogène, qui est associé au
féminin Alêthéia ; puis les quatre entités suivantes : Logos (Parole,
Discours) et Zôê (la Vie) ; l'Homme et l'Église (Ekklêsia), etc. Ces huit
premières entités forment l' Ogdoade.
L'ensemble des entités, en comptant celles qui suivent les huit premières et
qui se dénombrent jusqu'au cercle le plus bas, le plus proche de la terre,
sont au nombre de trente. Plus elles sont éloignées de l'Inexprimable, moins
ces entités sont pures.
Enfin, la dernière entité est celle qui intéresse Valentin. Elle a pour nom
Sophia. Nous avons vu plus haut que, selon les termes du mythe, Sophia voulut
voir l'Inexprimable, mais que mal lui en prit. Elle se sépara de son
partenaire, Limite (Horos), qui la sauva malgré tout de la mort. On sait que
le désir de Sophia fut jeté sur la terre et qu'il est à l'origine de la
création du monde (variante du démiurge-fils de Sophia), d'un monde imparfait.
L'homme garde tout de même en lui une étincelle qui le lie à Dieu, et qui est
soif de connaissance, de sagesse (Sophia).
Valentin reprend aussi à son compte l'existence du Christ, du Messie, envoyé
par Dieu pour sauver l'homme. Il classe par ailleurs les humains en catégories
distinctes que nous avons déjà vues plus haut, dans la partie correspondant à
l'exposé de la doctrine gnostique. En bas, il y a les hyliques, qui sont
attachés à la matière et qui n'ont point de salut dans cette vie ; en haut,
dans l'air et l'éther, s'élèvent les âmes des psychiques, malheureusement
coupées de la Vérité, ignorant les révélations du Christ, quoique chrétiens ;
enfin, bien au-delà, auprès de l'Esprit, s'élèvent les pneumatiques, qui sont
les élus gnostiques, qui possèdent la gnose.
Valentin a formé des émules qui se sont unis en communautés d'obédience
valentinienne. Saint Irénée, qui s'est empressé de semer le doute quant à leur
crédibilité, a voulu montrer leur manque de solidarité par ces termes : « Il
est impossible de mettre la main sur deux ou trois qui disent la même chose
sur le même sujet » (Adversus haereses).
Il existe une hiérarchie dans la classification des adeptes : les niveaux
d'enseignement diffèrent à mesure que l'adepte en sait un peu plus sur les
mystères de Dieu.
Chez tous les disciples de Valentin, l'attitude envers la vie est la même :
pour accéder à la condition supérieure qui permet de retrouver immortalité et
vérité, il faut consommer pleinement les plaisirs de la chair et les biens de
ce monde. Nul doute que ces communautés appliquèrent ce principe que tout est
permis puisque le gnostique est « détaché » du monde. Saint Irénée en parle
d'ailleurs en des termes bien peu indulgents : « [...] Aussi les plus parfaits
d'entre eux commettent-ils sans honte ce qui est défendu. Ils mangent sans
scrupule les nourritures destinées aux idoles. Ils assistent à toutes les
fêtes païennes. Beaucoup assistent même à ces combats de bêtes, odieux aux
hommes et à Dieu et aux combats singuliers à mort d'homme. D'autres s'adonnent
sans réserve aux plaisirs de la chair, disant qu'il faut rendre la chair à la
chair et l'esprit à l'esprit. D'autres encore déshonorent secrètement les
femmes qu'ils veulent initier. D'autres enlèvent ouvertement et sans scrupule
à leur mari la femme dont ils sont tombés amoureux pour en faire leur
compagne. D'autres enfin, qui faisaient semblant au début de vivre
honorablement avec elle comme avec une sueur, furent démasqués, leur sueur
étant devenue enceinte des oeuvres de son frère. Et tout en commettant ces
ignominies et ces impiétés, ils nous traitent d'imbéciles et de simples
d'esprit, parce que nous nous abstenons de tout cela, par crainte de Dieu.
Eux, se proclament les Parfaits, les semences d'élection. Ils prétendent avoir
reçu d'en haut une grâce particulière, par suite d'une union ineffable. Et
c'est pourquoi ils se doivent de s'appliquer sans trêve au mystère de l'union
sexuelle » (à propos de Ptolémée, qui est un émule de Valentin).
La fin de la matière, du monde corporel, de la terre viendra un jour. L'âme du
gnostique rejoindra le plérôme, aux côtés du Sauveur, chacun s'unira à un ange
jumeau (ou femelle avec mâle, le spirituel valentinien étant la partie
femelle). Une ère de repos s'ouvrira. Un feu gigantesque consumera alors la
matière, vidant le cosmos d'un mauvais souvenir.
Il enseignait entre 120 et 145 environ, à Alexandrie au temps d’Hadrien et d’Antonin le Pieux. Il avait été l’élève, à Antioche, de Ménandre, disciple de Simon le Mage.
En ce 2ème siècle après la venue
du Christ, placé sous le signe de l'éclatement du judaïsme et de l'éclosion de
nouvelles religions et sectes religieuses, fonder une école revenait à établir
le bien-fondé d'une doctrine. C'est ce que fit Basilide, docteur gnostique de
la première moitié du IIème siècle, qui ouvrit une école pythagoricienne à
Alexandrie, où il professait un gnosticisme particulier. À l'exemple de
Pythagore, ses disciples se voyaient imposer un silence de cinq ans, car, dit
Basilide, le Silence, qui est Premier, Un, nous aide à combattre l'illusion du
monde terrestre...
Sa doctrine, qu'il répandit entre l'Égypte et la Syrie de 120 à 145, on ne la
connaît que par les Pères de l'Église Clément d'Alexandrie et Origène. On sait
qu'il écrivit aux environs de vingt-quatre livres de commentaires sur les
Évangiles et composa même des odes.
Il affirme avoir échafaudé sa doctrine à partir de révélations que lui aurait
faites Glaucias, l'un des disciples de l'apôtre Pierre, ou, selon Hippolyte, à
partir d'un message livré par Matthias. On retrouve dans cette passation des
mystères divins l'idée bien gnostique selon laquelle le disciple est initié
par un maître qui possède, lui, la gnose.
Aux origines, il y a Dieu. Là encore, comme c'est le cas pour les auteurs
précédents, ce Dieu est entouré de mystère. Il n'est pas visible, il est
lointain, on ne peut même concevoir l'espace qui nous sépare de Lui ; Dieu est
appelé « Rien », qui n'est pas dicible, qui, en réalité, n'est pas : «Rien,
donc, n'existait, ni matière, ni substance, ni êtres sans substance, ni êtres
simples, ni êtres composés, ni êtres intelligibles, ni êtres non-
intelligibles, ni êtres sensibles, ni êtres non sensibles, ni ange, ni homme,
ni dieu, ni absolument aucun des êtres qu'on nomme ou qu'on perçoit par les
sens ou l'intelligence.» Vraiment, Dieu est ce qu'on appelle « Rien » : il est
« Celui qui n'est pas » .
Trois cent soixante-cinq cieux séparent l'homme de Dieu, qui sont chacun
peuplés d'entités. Tout en haut, les entités sont pures ; tout en bas,
impures. Un véritable dégradé d'avilissement. Le dernier ciel, le plus touché,
abrite l'Archonte, le chef des anges. C'est le dieu des juifs. Il est le
créateur de l'homme et du monde, oeuvre imparfaite.
Trois entités supérieures sont engendrées par Dieu le Silence-Rien. Elles ont
pour nom le Fils de Dieu, le Pneuma, qui est l'Esprit, l'étincelle divine
plongée dans la matière, qui règne sur le huitième ciel, appelé l'Ogdoade, et
qui se confond avec Dieu ; enfin, le corps et la terre, qui sont des
substances viles.
Le Christ, dont il est dit qu'il est aussi le premier né de Dieu, descend sur
la terre pour délivrer les croyants. Sa tâche accomplie, il remontera vers le
Père. Le Christ n'est pas un homme comme les autres. Il a endossé une
enveloppe humaine pour passer inaperçu au milieu des entités qui règnent dans
les nombreux cieux, d'autant que celles des derniers cieux auraient peu
apprécié qu'il leur fausse compagnie.
Basilide prétend qu'ensuite le Christ n'a pu souffrir sur la croix. Selon lui,
c'est un autre condamné, un certain Simon de Cyrène, qui fut crucifié ce
jour-là : «Quant à Jésus, il prit les traits de Simon et, se tenant au bas de
la croix, se moqua des archontes» (cité par Irénée, dans Contre les hérésies).
Supercherie qui, étonnamment, n'est pas dirigée contre les humains qui ont
condamné le Fils de Dieu, mais contre ces anges et archanges qui sont à
l'origine du mal sur la terre. Une lutte céleste se joue qui dépasse les
contingences humaines.
Les humains qui ont été au courant de la venue du Christ ont pu être sauvés.
Ils sont peu nombreux, et Basilide estime leur nombre à deux ou trois pour dix
mille !
Lors de leur remontée auprès de Dieu aux côtés du Christ, les âmes des
privilégiés, qui se sont séparées de leur corps, doivent proférer toutes
sortes d'invocations, paroles magiques, mots de passe secrets...
Dans sa remontée vers Dieu, vers l'Ogdoade où règne l'Esprit, l'âme est aidée
par Abraxas pour éviter les pièges tendus par le démiurge sur sa route.
Abraxas se confond avec Christos, le principe solaire du salut, Jésus
lui-même, et est une sorte de talisman - une pierre gravée (un buste d'homme à
tête de coq et aux jambes en forme de serpent) - que l'âme brandit comme
protection. Le symbole d'Abraxas eut la vie longue : Catherine de Médicis en
personne portait comme talisman une médaille de bronze à l'imitation de la
pierre gnostique.
La fin du monde correspond pour Basilide à une remise en ordre du cosmos mis
en désordre par les mauvais anges. Un jour, chacun reprendra sa place.
Basilide est un pessimiste et pense que même l'enfant souffre de sa condition.
Moralement, il prône une existence à la fois ascétique et libérale,
sexuellement parlant. Selon lui, l'homme est guidé par la volonté de se
perfectionner, et cet appel à la vertu n'est pas étranger à son salut d'être
spirituel.
Les ophites,
ou naassènes
Les ophites, ou naassènes, sont des adorateurs du Serpent, Ophis. La secte est
citée par Épiphane de Salamine, et s'est répandue entre le Ier et le IIème
siècle apr. J.-C. Des naassènes sont issus d'autres sectes adoratrices du
Serpent : les nicolaïtes (disciples de l'évêque Nicolas, au Ier siècle, qui,
selon la tradition, aurait été l'un des sept diacres de l'Église de
Jérusalem), se référaient à la légende du diacre Nicolaus, qui , parce que les
apôtres lui reprochaient son attachement jaloux à sa femme, l'offrit lui-même
à un autre afin de montrer qu'il n'était attaché qu'à dieu, les
caïnites (de Caïn, aux IIème et IIIème siècles, qui
serait le fils d'Ève et de la Puissance supérieure, il serait aussi l'ancêtre
d'Esaü, de Judas), les pérates (disciples d'Euphratès, ne siècle), les
konkéins (à la doctrine incertaine), etc.
Le serpent est d'une part lié à la connaissance - c'est lui qui initie Adam et
Ève -, d'autre part au plaisir - les ophites, à l'instar d'autres sectes
vénérant le même animal, restent persuadés que le serpent a défloré Adam et
Ève -, et d'autre part à la révolte contre le mauvais dieu de la Genèse, qui
l'a empêché de mener à bien son entreprise de révélation des mystères divins
auprès du premier homme et de la première femme.
Le mythe du serpent n'est cependant pas nouveau : il existe dans la tradition
hébraïque. Il est associé à Jésus par les ophites, qui voient en lui le salut,
et un salut possible par le biais de l'orgasme.
C'est ainsi qu'une fraction de la secte des ophites opte pour la licence,
tandis qu'une autre lui préfère l'ascétisme. Ces derniers identifient
d'ailleurs le serpent à Jésus crucifié sur la croix, le serpent ayant été
crucifié par le dieu mauvais après qu'il eut tenté de faire goûter le fruit de
la connaissance à Adam et Ève. De cette façon, le serpent protège l'homme et
le monde.
Le serpent symbolise aussi le devenir de l'univers : enroulé sur lui-même, il
se mord la queue : l'Un va au Tout qui va à l'Un en un cycle éternel.
Le mythe du serpent ne mourra pas : on retrouve un serpent crucifié dans la
tradition hermétique et alchimique, et il ne faut pas oublier que le serpent
symbolise toujours la médecine et le savoir.
Les caïnites
Les agissements des caïnites reflétaient une plus sombre rébellion philosophique. Ils pensaient que la véritable famille de sophia se composait de tous ceux qui dans l'ancien testament s'étaient opposés à Jéhovah ; en conséquence, ils honoraient Caïn, Cham, Esaü, les habitants de Sodome et de Gomorrhe, qu'ils regardaient comme des persécutés du Judaïsme. Ils possédaient l'Evangile de Judas où celui-ci révélait qu'il avait trahi le sauveur parce qu'il savait que l'empire d'Ialdabaoth serait anéanti par sa mort. Les Caïnites se livraient à tous les actes que proscrivaient le Décalogue, afin de manifester qu'ils n'obéissaient pas aux lois de Moïse.
Les barbélites
Les barbélites ou barbélognostiques sont adeptes de Barbélo, qui est la mère
du (mauvais) créateur du monde.
On doit de les connaître à Épiphane de Salamine, qui, vers 355, aurait adhéré
à la secte, entraîné par quelques adeptes féminines peu dénuées de charme
comme de scrupules. Il y aurait séjourné peu de temps et en serait ressorti
effrayé. Épiphane se serait alors empressé de dénoncer la secte auprès de
l'évêque d'Alexandrie. Son intervention entraîna l'arrestation de
quatre-vingts d'entre eux et la dissolution de la secte. Celle ci comptait de
nombreux membres, ce qui prouve que le gnosticisme attirait du monde en ces
temps primitifs du christianisme.
Barbélo, comme Sophia, vit au huitième ciel (le ciel supérieur de l'Ogdoade).
Elle est la déesse mère, l'émanation du pneuma, souffle de vie identifié au
sperma. Elle dépend du Père. Son fils, Sabaoth (« dieu des armées »), qui
gouverne le septième ciel, dépossède sa mère de son pouvoir et crée le monde,
qu'il laisse à l'état d'imperfection. Barbélo, afin de "ramener à elle sa
puissance disséminée dans les différents êtres", use du subterfuge suivant :
elle charme les archontes du plérôme, recueille leur sperme et les dépossède
ainsi du pouvoir octroyé par son fils.
Barbélo sauve donc l'humanité en usant de ses charmes. Par conséquent, le
rituel des sectes de nature barbélite sera de recueillir le sperme des adeptes
de la secte et de l'offrir à la déesse. C'est par ce "sacrifice" que le salut
est possible.
En outre, Épiphane précise que l'enfantement est proscrit dans ces sectes, et
pour cause, puisque tout est la faute du fils de Barbélo, Sabaoth. Épiphane
est allé plus loin dans sa dénonciation (sous toute réserve d'authenticité) :
les barbélognostiques auraient été jusqu'à manger les fœtus afin de s'en
débarrasser...
Les
séthiens
La secte des séthiens vénère non pas Seth, le dieu égyptien du Mal et des
Ténèbres, mais Seth, le troisième fils d'Adam et Ève (Genèse IV, 25), dont les
membres se disent les descendants. La secte est plus vraisemblablement liée à
celle des esséniens, les premiers judéo-chrétiens.
Née au IIème siècle apr. J.-C., la secte possède encore quelques adeptes au
IVème siècle, en Égypte. Épiphane de Salamine lui a consacré quelques lignes
dans son œuvre Panarion, et Plotin, en son temps, s'est heurté à eux.
Selon les séthiens, les hommes ont été dotés par Dieu d'une étincelle d'espoir
leur permettant de supporter le monde, qui a été créé par le dieu mauvais,
celui de la Genèse, Yahvé. Ce thème reprend celui des autres sectes
gnostiques. En revanche, le Messie, qui viendra un jour sauver les hommes, et
qui est l'envoyé du Père, se nomme Seth. À la fin des temps, les élus, qui
sont appelés les « Fils de la Lumière », ou encore les « allogènes » ,
retourneront auprès du Dieu inexprimable et s'assoiront aux côtés de quatre
entités célestes : Oroisel, Hermozel, Daveithe et Eleleth.
L'œil, qui prend une place de choix dans la symbolique séthienne, représente
le sexe féminin.
Les pérates
Les pérates tirent leur nom d'Euphratês ; « pérate » vient du grec péran,
signifiant franchir, traverser. Les pérates adorent le serpent et sont proches
des ophites : « Si quelqu'un a ses yeux favorisés, il verra, en levant son
regard vers le ciel, la belle image du Serpent enroulé au grand commencement
du ciel et devenant, pour tous les êtres qui naissent, le principe de tout
mouvement » (cité par Hippolyte dans Philosophoumena).
À l'instar d'autres sectes, l'élément sexuel tient une grande place dans leur
doctrine. Certains d'être des élus de Dieu, les pérates prétendent connaître
la voie par laquelle l'homme est entré dans le monde et celle qui lui
permettra d'en sortir.
Les archontiques
La secte, plutôt valentinienne, aurait été fondée par Pierre de Kapharbarucha
et dirigée par Eutacte de Satala. Elle est citée par Épiphane de Salamine dans
son Panarion.
La secte est antisémite et dualiste. Elle se caractérise aussi par l'absence
de sacrements, d'Église, de baptême... L'âme, pour rejoindre l'Ogdoade (au
huitième ciel, à l'instar des barbélognostiques), où vit la Mère, doit lutter
contre le mauvais dieu, Sabaoth, le maître des sept autres ciels.
Hermès Trismégiste- Au temps du gnosticisme, une
confrérie si soigneusement cachée qu'on en connaît ni le lieu d'origine ni
aucun des membres, a rédigé sous le nom d'Hermès Trismégiste, entre le 2ème et
le 4ème siècle, une suite d'œuvres qui propagèrent le mythe hermétique jusqu'à
nos jours. Les écrits grecs attribués à Hermès Trismégiste sont de trois
sortes : le Corpus hermeticum, réunion de 17 traités ou fragments, dans
lesquels Hermès enseigne sa philosophie à son fils Tat, à Asklepios ou au roi
Ammon ; le Discours parfait, dont il ne subsiste plus qu'une version latine,
l'Asclepius ; et des extraits de l'Anthologion de Stobée. A cela s'ajouteront
plus tard de nombreux ouvrages en arabe mis sur le compte d'Hermès
Trismégiste, comme le Livre d'Ostathas, exposant la théorie du macrocosme, ou
la lettre à la reine Amtounasia sur le Grand Œuvre.
Le premier héritier de la gnose, le manichéisme, lui fut contemporain et lui survécut plus longtemps ; il y avait encore de nombreuses églises manichéennes au XIème siècle, dans le Turkestan oriental, et au siècle suivant les Cathares en reprirent presque intégralement l'enseignement, qu'ils adaptèrent aux structures de l'occident médiéval. Mani né à Babylone vers 216, commença en 242 sa prédication à Ctésiphon, en Mésopotamie ; il fut crucifié vers 275 à Gundêshâpuhr, au sud-ouest de la perse, sous le roi sassanide Bahrâm Ier, à l'instigation des mages persans jaloux du succès de sa religion. Mani possédait la volonté de synthèse de la gnose : lorsqu'il reçut son "appel" en 241 (c'est-à-dire lorsque l'esprit vivant lui apparut pour lui révéler la "doctrine des trois temps", expliquant le début, le milieu et la fin du monde), il se considéra comme le successeur de Zoroastre, de Bouddha et de Jésus, dont il pourrait seul accorder les dogmes différents. Alors que tous les gnostiques admettaient trois principes : le dieu étranger, le démiurge créateur du monde, et le cosmocrator régnant sur les démons, Mani n'en reconnaissait que deux : la lumière et les ténèbres, ayant précédé l'existence du ciel et de la terre. On parle souvent du manichéisme comme d'un système mettant les bons d'un côté, les méchants de l'autre : c'est là une interprétation fausse de son dogme. Tout le monde est mauvais dans le manichéisme : hommes, animaux, plantes, sites, ont tous été créés avec de la matière ténébreuse. La seule chance de salut est d'entendre un " appel " du messager de la lumière. Il n'y a pas de bons, il n'y a que des "appelé" prenant conscience du tragique de la condition humaine, et sachant expulser d'eux-mêmes les ténèbres, au moyen d'une conduite ascétique comportant l'abstinence de la viande et du vin, le renoncement à la propriété individuelle, le refus du mariage. Deux classes d'initiés : les élus, s'imposant de dures épreuves, menant une vie monacale et les auditeurs ou soldats, pouvant se marier et posséder des biens, mais observant aussi certaines interdictions (ne tuer aucun animal, ne pas se parjurer, etc...) et cinquante jours de jeûne par an.
En dehors du manichéisme, qui en fut une application restreinte, l'esprit de
la gnose a subsisté jusqu'à nos jours. Tous les grands philosophes occultes
ont été, d'une façon ou d'une autre, les continuateurs des gnostiques, sans en
reprendre nécessairement le vocabulaire et les thèmes, sans se préoccuper
toujours du plérôme, des éons et du démiurge. Le cours de Cornelius Agrippa à
l'université de Pavie, en 1515, roula entièrement sur le Poïmandrès d'Hermès
Trismégiste ; Jacob Boehme, Louis-Claude de Saint-Martin, introduisirent dans
leur système le culte de Sophia ; Eliphas Lévi reprit l'idée du voyage
cosmique de l'âme après la mort, de planète en planète, vers l'absolu divin.
Stanislas de Guaita, bien qu'il s'intéressât surtout à la kabbale, écrivit à
Péladan : "la science n'est qu'une moitié de la sagesse ; la foi en est une
autre moitié. Mais la gnose est la sagesse même, car elle procède des deux".
En France Jule Doinel fonda l'église gnostique universelle en l'an 1890. René
Guénon, se ralliant à ce mouvement, en novembre 1909 participe à La gnose, "organe officiel de l'église gnostique universelle".
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